Jean Villard Gilles, une biographie artistique
Cet ouvrage paru aux Editions de l’Aire est le résultat d’un miracle. En effet, Olivier Rumpf travaillait sur Gilles, présentait son parcours à ses élèves et avait donné en 2016 un cours passionnant à l’Université populaire de Lausanne. Ses recherches, originales et nombreuses, auraient pu disparaître avec lui, puisque la maladie l’a emporté en août 2018. Collègues et devenus amis grâce au Cercle littéraire, nous parlions de ce travail et nous réjouissions l’un et l’autre de son achèvement. A son service funèbre, j’avais de quoi me faire du souci sur le sort du livre, qui était bien avancé. Or une concertation entre son épouse Christine Croset Rumpf, Marie Perny, qui a repris le texte et lui a donné sa forme définitive, Françoise Fornerod et l’éditeur Michel Moret, plus quelques amis bienveillants, a permis d’obtenir ce magnifique ouvrage, dont l’annonce de la publication m’a bien sûr comblé.
Sa lecture a confirmé ce sentiment: enfin, nous disposons d’une étude fouillée, bien documentée, sur la recherche constante qui fut celle de Jean Villard, devenu Gilles, de sortir de l’ornière de la chanson type cabaret et de donner un fond, une substance, et une forme élaborée à ses chansons. Avant Jacques Brel (qui s’est inspiré du poème «La Venoge» pour composer «Le plat pays qui est le mien»), avant Brassens, Léo Ferré et les autres, Gilles a su trouver un style nouveau, grâce notamment à «Dollar», à «La belle France» et aux autres chansons des années 1930. Au texte et à la musique s’ajoutaient la gestique, les éclairages avec jeux d’ombres, l’habit noir et simple (col roulé au lieu du frac), la complémentarité des personnages qu’étaient Gilles, Julien et… le piano, puis Gilles et Edith, enfin Gilles et Urfer. Après avoir renouvelé le spectacle théâtral avec Jacques Copeau en Bourgogne, dans les années 1920, il a été le pionnier de la chanson à texte, à Paris et à Lausanne. Les études sur la chanson française de Christian Marcadet et de Philippe Chauveau avaient déjà donné sa place à Gilles pour son activité à Paris, mais l’ouvrage d’Olivier Rumpf et Marie Perny présente la carrière entière du célèbre acteur et chansonnier, avec de très nombreuses coupures de presse de l’époque.
Les principaux apports originaux du livre: Histoire du Soldat comme création au carrefour des cultures européennes, les documents et témoignages sur les spectacles de l’entre-deux-guerres, les hauts et les bas de la vie artistique de Gilles, qui ne sont pas gommés, les analyses fouillées de «La Venoge» et de «Terre des Ormonans», et les commentaires de divers compositeurs vivants, synthétisés dans le chapitre «Caractéristiques du style musical de Gilles».
Gilles mérite la gloire qui est la sienne aujourd’hui, il avait du génie, et aussi une facilité à laquelle il a parfois cédé. Mais chez nous, il faut rappeler que l’art de Gilles n’était pas que celui d’un chansonnier local («La Venoge», «Y en a point comme nous»…), malgré son grand talent pour décrire le Pays vaudois, mais celui d’un véritable créateur, faisant passer par ses spectacles un souffle artistique mêlant chant, musique, jeu d’acteur et de lumière. Versificateur habile, il fut un vrai écrivain dans ses souvenirs intitulés plaisamment Mon demi-siècle.
Merci à tous ceux qui ont permis la publication de ce bel ouvrage, bien présenté, riche et complet.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Ouvrez les portes! – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Des ponts à l’Est – Pierre-Gabriel Bieri
- Pas de confinement en 1918 – Jean-Michel Henny
- Les premières sonates pour piano de Beethoven – Jean-François Cavin
- Un espoir pour les communes? – Jean-Michel Henny
- Eloge de la responsabilité individuelle – Revue de presse, Rédaction
- Où est passée l’inspiration? – Charlotte Monnier
- La Grève du climat devient la Grève militaire – David Masson
- Une leçon en Ukraine – Rédaction
- Ramuz, amoindri et confiné – Jacques Perrin
- Occident express 59 – David Laufer
- Une pandémie qui fait mauvais genre – Le Coin du Ronchon