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Avoir la politique de ses moyens

Cédric Cossy
La Nation n° 2180 30 juillet 2021

Dans un précédent article1, nous avons dénoncé la sous-évaluation systématique des recettes de l’Etat dans ses budgets des dix dernières années, ainsi que l’usage annuel de près d’un demi-milliard par an pour des dépenses ou réserves extra-budgétaires. Il faut ajouter à ce montant environ 350 millions de capitalisation propre. Malgré des dépenses dans le santé/social en hausse constante, l’écureuil obèse qu’est devenu l’Etat trône au sommet d’un tas de noisettes de 4 milliards.

Le Canton avait donc – et a toujours – les moyens d’une politique d’investissement généreuse, à la hauteur de ses ambitions démographiques (un million de Vaudois en 2044), environnementales (le Plan climat) et éducatives. Or, les investissements bruts de ces dix dernières années sont restés misérablement stables à 300 millions. C’est moins, en valeur absolue, qu’à la fin du XXe siècle. Et, par tête d’habitant, Vaud est aujourd’hui lanterne rouge de tous les cantons romands.

Ces maigres investissements d’infrastructures s’inscrivent essentiellement dans une logique de centres et de pôles: projets d’agglomération plus ou moins bien ficelés, construction de centres hospitaliers mahousses, combat contre le «mitage du territoire» par l’habitat groupé, concentration des industries dans des «parcs technologiques», etc. La couverture de nouveaux besoins de transports, suscités par cette fonctionnalisation du territoire, reste cependant à la traîne. Si les centres urbains tirent assez bien leur épingle du jeu, les périphéries et le Pays profond sont en corollaire laissés pour compte.

Pourquoi le Canton n’arrive-t-il pas à investir plus généreusement? En matière environnementale, pourquoi les hôpitaux vaudois (à l’exception de Rennaz) ne sont-ils pas couverts de panneaux photovoltaïques pour leur autoconsommation? Pourquoi l’Etat n’est-il pas l’exemple à suivre par les privés dans l’assainissement énergétique de ses bâtiments administratifs? Où sont les parkings de transfert nécessaires aux déplacements multimodaux entre lieux d’habitation et d’activité? Pourquoi l’Eta ta-t-il toujours au moins une piste d’autoroute ou un gymnase de retard?

Tout d’abord, la capacité d’exécution ne suit pas les intentions politiques du législatif. Pour prendre un exemple récent, les quelques millions réservés pour la promotion du bois vaudois dans la construction ne sont pas encore dépensés: combien d’années cette réserve va-t-elle dormir avant qu’un compromis sur les règles de son utilisation soit trouvé?

Et même correctement légitimé, un projet cantonal peut trébucher sur une négligence ou un manque de compétence de l’office des constructions: un recours contre une adjudication mal argumentée a bloqué le chantier de l’hôpital du Chablais durant près d’une année.

Le Canton manque surtout d’esprit d’entreprise pour se lancer dans des grands projets. Sans un programme-cadre subventionné par la Confédération, rien n’avance, que ce soit pour le réseau de transports, les projets d’agglomération, les pôles d’excellence médicaux ou scientifiques. On n’a jamais imaginé, en terres vaudoises, copier Zurich, qui a financé seule une part des infrastructures ferroviaires jugées nécessaires, même si elles n’étaient pas dans les priorités de la Confédération ou des CFF.

Notre Etat peu entreprenant n’aide pas les communes à l’être, forcées qu’elles sont d’agir pour absorber l’expansion démographique. En matière d’aménagement du territoire, La Nation avait prédit une paralysie administrative découlant de la mise en application de la nouvelle LAT. Le résultat est cinq années passées à établir les nouveaux plans d’affectation communaux et à les faire laborieusement valider par les services cantonaux. En matière d’infrastructure scolaire, les normes cantonales forcent les collectivités locales à délaisser des bâtiments scolaires inadaptables. Or, toutes n’ont pas les moyens de financer de nouveaux complexes scolaires, les transports et l’accueil parascolaire qui vont avec.

Il faut enfin regretter une certaine faiblesse des entreprises vaudoises. Le Canton manque de partenaires privés d’importance pour conduire de grands chantiers de bout en bout. Les projets hospitaliers, ferroviaires ou routiers du Chablais ont par exemple été attribués à des groupes bernois ou zurichois. On compte dans le Canton une seule entreprise au nom balkanique pour faire pièce à ces grands noms; les autres entrepreneurs vaudois doivent se regrouper en consortium pour participer aux soumissions des grands chantiers. Et les règles d’attribution des marchés publics obligent souvent l’Etat à choisir des entreprises hors sol. La transformation de la gare de Lausanne est une heureuse exception.

L’Etat vaudois rêve d’un avenir grandiose mais pourrait, pour concrétiser ses ambitions, investir le double d’aujourd’hui dans ses infrastructures. Sa politique minimaliste d’investissement, dont les centres urbains sont les principaux bénéficiaires, combinée à une politique sociale très généreuse, nous promet un canton à deux visages: d’une part des centres habités par des employés tertiaires roulant tout électrique, d’autre part des campagnes et des zones d’altitude, aux bas loyers attirant une population d’assistés médicaux-sociaux. Entre deux, il restera place à des zones artisanales et commerciales.

Notre Canton est riche. Il peut et doit viser un meilleur équilibre. Il peut soutenir ou reprendre à sa charge les projets des communes et de leurs associations, être le parangon de la transition énergétique pour son parc immobilier, prendre les devants pour résoudre les problèmes de mobilité et appliquer une certaine préférence cantonale dans l’adjudication des grands chantiers.

Notes:

1  La Nation N° 2179 du 16 juillet 2021.

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