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Encore des faits

Jacques Perrin
La Nation n° 2180 30 juillet 2021

Le 29 juin 1941, apprenant la chute de Minsk, Staline se rend à l’état-major général. Il insulte Joukov et Timochenko. Joukov, chef de l’état-major, un dur, se met à pleurer. Le 30 juin, Staline reste dans sa datcha. Molotov, accompagné de cinq éminences du Parti, lui rend visite. Staline tient tous les pouvoirs. La catastrophe est de sa faute, le relèvement viendra de lui. Averti par son secrétaire Proskrebychev et gardé par 500 soldats d’élite, Staline n’est pas surpris. Mikoïan, l’un des visiteurs, raconte dans ses mémoires que Staline aurait demandé: Vous êtes venus pour m’arrêter? Aujourd’hui on sait que cette question a été ajoutée au manuscrit par Sergo, fils de Mikoïan. Molotov obtient de Staline, qui ne s’est pas effondré, la création du comité d’Etat à la défense, afin de redresser le pays et diriger l’effort de guerre.

Le 3 juillet, Staline parle sur Radio Moscou: Camarades! Citoyens! Frères et sœurs! Combattants de notre armée et de notre marine! Je m’adresse à vous, mes amis. Prononcé d’une voix oppressée, le discours contient onze fois le mot patrie et une fois le mot communisme.

En septembre 1941, Staline dit à Averell Harriman, envoyé du président Roosevelt: Nous ne nous berçons pas d’illusions en croyant que les soldats se battent pour nous, les bolcheviques. Non, ils se battent pour leur Mère-Patrie.

Le 22 juin, le métropolite de Moscou, Serge 1er, la plus haute autorité de l’Eglise au million de martyrs et aux 48’800 églises fermées sur 50’000, est appelé à la rescousse: Rappelons-nous les grands guides du peuple russe, Alexandre Nevski, Dimitri Donskoï, morts pour leur peuple et pour la patrie. Rappelons-nous les milliers de soldats orthodoxes…

On ferme le Musée de l’athéisme, les journaux athées sont interdits.

Dans les années 1970, le New York Times demande à Veniamin Levich quelle est la plus belle période de l’histoire russe. Le scientifique répond: La guerre! Alors nous nous sommes sentis former un tout avec le gouvernement comme cela ne se reproduirait jamais plus. Ce n’était pas leur pays, mais le nôtre. Ce n’était pas leur guerre, mais notre guerre.

En Chine, lors de la révolte des Boxers (1900-1901), le contingent allemand se signale par une violence inouïe, voulant faire reconnaître à l’ennemi sa défaite totale. De nombreux observateurs attribuent ce trait aux troupes allemandes exclusivement, alors que d’autres unités occidentales participent à la répression. Le Kaiser s’adresse à son corps expéditionnaire: Vous allez combattre un ennemi brave, audacieux, bien armé et cruel. Pas de quartier. Pas de prisonniers. Utilisez vos armes de telle façon que, durant mille ans, pas un Chinois n’osera regarder de travers un Allemand.

L’idéologie nazie accentue cette culture militaire violente. Le judéo-bolchevique asiate remplace le Chinois cruel. Le général von Cochenhausen avertit ses soldats: Barbarossa sera menée contre un peuple qui unit les moyens de combat les plus modernes à la cruauté asiatique. Le Russe n’est pas un adversaire convenable.

Hitler a ordonné que la troupe liquide sur le champ les commissaires politiques capturés. Le général Erich Hoepner, commandant du prestigieux 4e groupe blindé, pourtant antinazi, futur comploteur du 20 juillet 1944, commente l’ordre: C’est le vieux combat des Germains contre les Slaves, la défense de la culture européenne contre le flot moscovite et asiate, la résistance contre le judéo-bolchevisme.

Le judéo-bolchevisme est en partie mythique. Certes des juifs athées, comme Trotski, ont passé au bolchevisme et un individu comme Lev Mekhlis renforce le mythe. Mekhlis, à 16 ans, se bat contre les Cent-Noirs antisémites dans une unité d’autodéfense juive d’Odessa. Dès les années trente, il renie sa judéité au nom du communisme. Il se fait remarquer par sa férocité contre les prisonniers blancs. Staline apprécie sa dureté. Mekhlis devient rédacteur en chef de la Pravda, puis directeur de l’administration politique de l’Armée rouge. C’est un purgeur inlassable, le seul à oser faire fusiller un général sans jugement. Obsédé par la trahison, le sabotage et l’espionnage, il perd des heures à chiffrer lui-même les télégrammes.

Dans cette ambiance d’angoisse raciale et d’utopie, les deux camps multiplient les crimes, les Allemands contre les «Asiates cruels», et les Soviétiques contre leurs propres officiers et soldats accusés d’incompétence, de trahison ou de lâcheté.

Aucune révolte d’envergure ne se produira contre le régime soviétique, à part celle de l’excellent général Andrei Vlassov, passé à l’ennemi avec 50’000 hommes affamés. Sa 2e armée de choc a été encerclée à cause des mauvaises décisions du général Meretskov. Meretskov, lui-même arrêté le 23 juin, battu, jeté dans une geôle infecte, avouant une conspiration imaginaire, pardonné par Staline qui a besoin de lui, est si affaibli par les mauvais traitements qu’il commande plusieurs mois assis ou couché, incapable de contrarier Staline.

De nombreux paysans russes espéraient la fin du régime stalinien. Ils déchantent vite. Ils ont juste changé de maître. L’envahisseur ne supprime pas les kolkhozes, mais réquisitionne la production et vit sur l’habitant.

Lidia Ossipova a cru accueillir des sauveurs; elle bascule en quelques semaines. Le 18 novembre, elle écrit dans son journal: Il faut admettre que les Allemands dans leur majorité sont bons, humains et compréhensifs. Nous sommes heureux qu’ils soient avec nous. Le 27 décembre, elle désespère: On peut s’attendre à tout des fascistes, sauf à de l’humanité. Les bolcheviques n’exterminaient pas les gens de façon si systématique. L’un vaut aussi peu que l’autre.

Un médecin allemand de la 25e division d’infanterie témoigne de la détresse de ses camarades mais aussi de la férocité de l’occupant vis-à-vis des civils. Il achève son tableau de l’horreur par ces mots: Ici, il n’y a plus de vie humaine.

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