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Le papillon laïque

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2188 19 novembre 2021

Le langage courant du monde actuel est celui des techniciens, des gestionnaires et des statisticiens. C’est un langage froid, utilitaire, rationaliste et individualisant. Dans la pensée dure et terre-à-terre qu’il impose à ses utilisateurs, pas de place pour des notions comme la Résurrection, le Salut, la Trinité ou le Péché originel! Pas de place pour la communauté, la confiance, le service ou le sacrifice! Pas de place pour l’Eglise «corps du Christ»! La foi se voit progressivement évacuée du monde, reléguée au rang d’une bizarrerie vieillotte offensant tant la logique que l’expérience. Et l’Eglise se sent expulsée du terrain missionnaire. Comment réagir?

La réponse la plus facile, à court terme, est d’adopter la pensée et le discours modernes, si impropres soient-ils à la prédication, dans l’idée de se rapprocher des incroyants et des indifférents. En donnant l’image d’une Eglise proche de leur quotidien, on espère être aimé d’eux et les ramener à la maison.

C’est dans cet esprit que le Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud a édité un papillon proposant un accompagnement entièrement laïque aux familles non-croyantes frappées par un deuil. Au début de l’année, le Synode s’était pourtant prononcé contre le principe d’une telle publication. Une interpellation déplorant que le Conseil synodal ait passé outre a été déposée lors de la session de ce mois de novembre. Elle a été soutenue par une majorité du Synode. Dans un article détaillé de Protestinfo1, Mme Anne-Sylvie Sprenger décrit l’affaire. Son article a été repris par 24 heures, dans son édition
du 11 novembre2.

Le pasteur Vincent Guyaz, vice-président du Conseil synodal a déclaré: «On est de toute manière au centre de l’Évangile quand on est dans la consolation». Oui, bon, mais le fait est que la consolation n’est pas une exclusivité chrétienne. Des représentants d’autres croyances, des incroyants même peuvent apporter une consolation authentique à ceux qui sont dans le deuil. Le rôle spécifique de l’Eglise, ce qui justifie son existence, c’est précisément de relier concrètement les consolations à Celui qui leur donne la plénitude de leur sens et de leur efficacité.

Lors du débat, plusieurs pasteurs ont soutenu la position du Conseil synodal: il leur arrive en effet, en fonction des familles qui font appel à eux, de s’en tenir à des considérations purement profanes et d’éviter un discours religieux qui risquerait de faire effet contraire. Ils prennent là une grave responsabilité. Les connaissant, je sais qu’ils ne le font pas à la légère.

Ils peuvent sans doute évoquer l’apôtre Paul, qui se fait lui aussi tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns3. Mais l’apôtre reste un ministre du Christ et ne manque jamais de le faire savoir sur tous les tons, à temps et à contretemps.

On peut d’ailleurs se demander pourquoi ces familles ont voulu ou accepté l’assistance d’un pasteur, avec tout ce qu’'il représente, plutôt que celle d’un assistant social ou d’un thanatologue. Peut-être leur refus de la religion n’est-il pas aussi profond qu’on ne l’imagine. Dans ce cas, on gaspille une bonne occasion de parler.

Une pasteure membre du Synode a vigoureusement affirmé que, pour sa part, elle n’était pas disposée à brader le message de l’Evangile.

Quoi qu’il en soit, il en va tout autrement si l’Eglise elle-même publie, dans l’abstrait, des textes purement laïques. Car l’Eglise n’est jamais neutre. Tout ce qu’elle dit a valeur de témoignage. Si elle court-circuite la Révélation, si elle tait l’essentiel par souci d’être mieux acceptée, elle brouille le message. Elle rend de facto un contre-témoignage imprudent qui met en cause la formule d’exclusivité du Christ: Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi4.

On croit qu’on va infiltrer le monde, et c’est le monde qui nous envahit. De fait, l’Eglise elle-même court un risque majeur à se distancer du message explicite de la foi. Car seul ce message, proclamé avec netteté, la protège contre son éternelle tentation de s’identifier au monde, que ce soit pour le dominer ou pour s’y dissoudre.

Accordons-nous trop d’importance à une affaire marginale? Le même esprit de sécularisation a déjà touché les projets de nouveau catéchisme. Il est donc légitime de craindre qu’emporté par cet «effet papillon» d’un nouveau genre, le Conseil synodal ne concocte d’autres cérémonies light, mariage, baptême, confirmation, communion.

Nous apprenons à l’instant que la région ecclésiastique de Lavaux a vivement critiqué l’initiative du Conseil synodal et rédigé un projet de motion visant à ce que le papillon soit retiré de tous les circuits d’information et de communication. L’affaire n’est donc pas close.

Notes:

1  Protestinfo est une agence spécialisée dans les informations concernant les Eglises réformées de la Suisse romande.

2  L’Eglisedoit-elle toujours convier Dieu aux enterrements? Surtitre: «Zizanie au synode».

3  I Cor. 9: 22.

4  Jean 14: 6.

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