Le plus petit dénominateur commun entre l’artiste et soi
Cet automne le musée Jenisch à Vevey présente comme à son habitude deux expositions formidables, en parallèle d’un accrochage brillant des collections permanentes et d’une grande salle dédiée au peintre Kokoschka. C’est fou tout ce qu’on peut trouver dans un petit musée quand il est grand par l’ambition.
La peinture, surtout à l’huile, est quelque chose de mystérieux, chimique, on ne peut, sans en avoir fait l’apprentissage, estimer s’il est difficile ou pas au peintre de rendre tel effet. Le coup de crayon en revanche est immédiatement accessible. Dans nos cahiers d’écoliers, chacun, même sans talent, a noirci des marges et hachuré des surfaces.
La hachure est le plus petit dénominateur commun entre nous et n’importe quel artiste.
L’expérience sensitive auquel nous convie le musée avec son exposition XXL – Le dessin en grand, c’est d’expérimenter la hachure à taille véritablement humaine, et cela a quelque chose d’émouvant.
Je m’explique: quand un dessin est beau mais très petit par sa taille, on admire le soin, on admire la délicatesse minutieuse dont on ne serait pas capable. Mais quand un dessin est immense, alors on se rend compte physiquement qu’un visage, qu’un paysage, qu’un cheval, n’est finalement qu’une succession de hachures au crayon sur des centimètres carrés qu’on aurait pu appliquer soi-même. C’est simple et concret. Le geste de l’artiste sur les très grands formats montrés en ce moment à Vevey est plus immédiatement intime qu’il ne l’a jamais été, il nous parle aux tripes. Nous voyons dans ces grands dessins un art à portée de hachure qui a quelque chose de bouleversant. Cette expérience seule vaut le détour, les artistes individuellement aussi.
La deuxième exposition est dédiée à l’œuvre gravée de l’artiste américain formé dans l’Allemagne du Bauhaus, dans les années 1920, Lyonel Feininger (1871-1956). Il est bien connu pour ses vues de ville qui frôlent l’abstraction, proches – et ce n’est pas un hasard – d’une Metropolis fantasmée comme celle de Fritz Lang qui date de 1927. Feininger est surprenant dans des vues de mer qui allient une naïveté certaine à la pureté du trait. On le découvre aussi ondoyant et joyeusement caricatural dans ses personnages qui filent joyeusement, presque comme des créatures de Moebius. Il est enfin très touchant dans un jeu entier de petits personnages sculptés en bois et peints qu’il a réalisé pour ses enfants.
Cette deuxième exposition que l’on doit au Cabinet cantonal des estampes dure jusqu’au 9 janvier, la première jusqu’au 27 février, elles sont toutes deux à voir absolument.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le papillon laïque – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Un traitement homéopathique pour les impôts – Olivier Klunge
- L’Occident face à la Chine, une question de posture – Camille Monnier
- Traces d’humanité (3) – Jacques Perrin
- Cloud de la Confédération – Jean-François Pasche
- Fermer les yeux et éteindre la lumière – Sébastien Mercier
- Les Italiens devenus Vaudois – Jean-François Cavin
- Manchots inégaux – Le Coin du Ronchon