Manchots inégaux
«Les manchots empereurs paradent à nouveau.» Ce titre apparu sur un média en ligne a attiré notre attention. La suite de l’article nous apprend qu’«avec l’arrivée du froid, les manchots du zoo de Bâle reprennent le cours de leur promenade matinale, tous les matins à 11 heures. Seuls les dix-neuf manchots royaux sont dans un premier temps concernés. Mais les huit manchots papous pourront eux aussi bientôt les accompagner».
Une parade de manchots, qui l’eût cru? Après la street-parade, voici donc la banquise-parade. Une marche des fiertés, en quelque sorte, pour les oiseaux qui ne savent pas voler, pour tous les oiseaux différents. «Manchots, mais égaux!» Voilà un beau progrès social qui efface encore davantage la distinction entre l’animal et l’humain – sauf que, cette fois, ce sont les animaux qui se comportent comme des humains et non l’inverse.
La pédagogie moderne y trouve aussi son compte puisque «les manchots sont libres de choisir s’ils veulent participer à la promenade ou pas. De même, ce sont eux qui, dans une large mesure, décident de la durée et de l’étendue de la balade. Les visiteurs sont priés de garder leurs distances et de laisser la priorité aux animaux». Ces parades respectueuses permettent donc de remettre le manchot au centre (et le visiteur en cage).
Et pourtant, on réalise que le zoo de Bâle, sous ses airs progressistes, dissimule une vision réactionnaire, antidémocratique et néo-colonialiste. Comment justifier sinon que les manchots papous ne puissent sortir qu’après les manchots royaux? Comment justifier qu’il subsiste encore, au XXIe siècle, des manchots royaux, voire des manchots empereurs, c’est-à-dire des manchots privilégiés?
Ce qui nous a le plus choqué dans cet article est que le journaliste, en passant du titre au premier paragraphe, ne fait aucune distinction entre la royauté et l’empire, ce qui dénote une confusion tant ornithologique (car les manchots empereurs et les manchots royaux sont deux espèces différentes, inégales) que politique et historique.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le papillon laïque – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Un traitement homéopathique pour les impôts – Olivier Klunge
- L’Occident face à la Chine, une question de posture – Camille Monnier
- Traces d’humanité (3) – Jacques Perrin
- Cloud de la Confédération – Jean-François Pasche
- Fermer les yeux et éteindre la lumière – Sébastien Mercier
- Les Italiens devenus Vaudois – Jean-François Cavin
- Le plus petit dénominateur commun entre l’artiste et soi – Yves Guignard