Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Dictature énergétique?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2194 11 février 2022

Le Conseil fédéral veut accélérer les procédures d’autorisation pour la réalisation des installations importantes d’énergie renouvelable, hydroélectrique ou éolienne. A cette fin, suivant l’idée du département de Mme Sommaruga, il propose d’inscrire dans la législation fédérale deux mesures attentatoires aux droits essentiels des cantons et des communes.

D’une part, il entend désigner, dans une «conception» fédérale édictée par lui et ayant force obligatoire pour les autres autorités, les sites destinés à accueillir ces installations. Ainsi la détermination des zones où pourraient s’implanter des parcs d’éoliennes, notamment, échapperait aux cantons. Il se pourrait même que la décision fédérale influe sur l’appréciation des tribunaux, en cas de recours. Ne lit-on pas dans le commentaire de l’avant-projet que, face aux «décisions discrétionnaires (sic!) prises par le Conseil fédéral […], on peut supposer que les tribunaux ne casseront pas ces décisions […] sans motifs valables»? Mesdames et Messieurs les juges, alignés couverts!

D’autre part, l’ensemble des autorisations nécessaires à la construction de ces installations (affectation de la zone, défrichement, protection des eaux, expropriation, permis de construire, etc.) devrait être groupé en une seule procédure, à l’échelon cantonal exclusivement. Les communes se verraient ainsi privées de tout pouvoir de décision sur cet aspect de l’aménagement de leur territoire et sur le permis de construire. Les cantons seraient tenus d’adapter leurs lois dans ce sens; en attendant que leurs parlements aient fait le nécessaire, les exécutifs cantonaux seraient habilités à anticiper par voie d’ordonnance.

Le projet prévoit aussi de faciliter l’installation de panneaux solaires en façade en supprimant l’enquête publique (comme c’est déjà le cas sur les toits) au profit d’une simple annonce et en récompensant les investisseurs par une déduction fiscale. Nous ne commenterons pas ici cet aspect du projet.

Un projet inconstitutionnel?

Que la Confédération s’arroge des compétences appartenant aux cantons et aux communes pose un problème institutionnel majeur. Et d’abord, est-ce que la Constitution fédérale lui permet de le faire?

Sur cette question primordiale, le commentaire de l’avant-projet est misérable. Il se borne à déduire cette compétence de l’article 89 de la Constitution fédérale, qui traite de la politique énergétique, en l’interprétant de manière très extensive. En effet, cet article limite le pouvoir de la Confédération à «fixer les principes applicables à l’utilisation des énergies indigènes et des énergies renouvelables». La localisation concrète des installations en cause n’est évidemment pas l’énoncé d’un «principe». Les auteurs du commentaire tentent de s’en tirer en se tortillant: il pourrait y avoir des exceptions en présence d’«intérêts essentiels». Où pêchent-ils cela? Et quels intérêts essentiels? Celui des investisseurs? Ou celui des habitants d’une commune opposée au chantier prévu?

Non contents de biaiser le texte, les juristes de Mme Sommaruga omettent complètement de citer d’autres articles de la loi fondamentale et d’en mesurer la portée. Par exemple l’article 46 alinéa 3: «Mise en oeuvre du droit fédéral – La Confédération laisse aux cantons une marge de manoeuvre aussi large que possible en tenant compte de leurs particularités»; où est la marge de manœuvre quand on leur dicte très exactement les articulations d’une procédure? Ou l’article 47: «La Confédération respecte l’autonomie des cantons. Elle […] respecte leur autonomie d’organisation»; quel respect lorsqu’elle leur prescrit qui est compétent pour ceci ou cela? La liberté des cantons d’organiser les pouvoirs en leur sein est au cœur de leur souveraineté. Ou encore l’article 50: «L’autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal»; les limites fixées par le droit cantonal, et non par les services de Mme Sommaruga!

La désinvolture du Conseil fédéral est scandaleuse. La question du climat n’autorise pas à bâcler le travail et à ignorer délibérément tout un pan de notre édifice politique et juridique. La question de la constitutionnalité de ce projet mérite une étude détaillée qui n’a pas sa place ici; dans le cadre de la consultation qui s’ouvre, le Conseil d’Etat doit y pourvoir.

Un coup de force politique

Quoi qu’il en soit sur le plan du droit, le Conseil fédéral commet une violation grave du principe fédéraliste. Sa démarche peut constituer un précédent dangereux. Pour l’aménagement du territoire de façon générale, par exemple, où les règles de compétence sont assez semblables; là aussi, la Confédération ne peut édicter que des «principes»; on sait qu’elle a déjà interprété cette notion de manière très extensive, mais sans en venir à définir concrètement, dans le terrain, la destination de telle partie d’une commune. La verra-t-on demain imposer ici une zone de verdure au Mont-sur-Lausanne et là une zone industrielle à Bottens?

On peut tout craindre dès lors que le Conseil fédéral adopte une posture dictatoriale; car ce qu’il cherche, finalement, ce n’est pas tellement à accélérer les procédures qu’à étouffer les oppositions. Ces trois dernières années, douze communes – en Suisse allemande surtout, mais il y a eu aussi deux cas au moins dans notre Canton précédemment – ont refusé l’érection d’éoliennes sur leur territoire, par décision de leurs autorités régulièrement constituées, le plus souvent par scrutin populaire. Or le potentat fédéral veut des éoliennes, si peu rentables soient-elles; donc il faut contraindre les cantons et exclure les communes, ces gêneuses, du processus décisionnel. Les Sept auraient-ils pris goût aux pleins pouvoirs à la faveur de la crise sanitaire? Il faut stopper cette dérive.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: