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Une belle messe contemporaine

Frédéric Monnier
La Nation n° 2195 25 février 2022

Mettre en musique l’ordinaire de la messe dans le monde déchristianisé qu’est le nôtre peut étonner, d’autant plus quand c’est le fait d’un jeune compositeur. En effet, entre 2008 et 2011 Valentin Villard, né en 1985 de parents valdo-fribourgeois et mieux connu aujourd’hui pour avoir été l’un des trois compositeurs de la dernière Fête des Vignerons, écrit une Messe à six voix pour chœur a cappella et un sextuor de solistes. Il n’y a pourtant pas lieu de s’étonner, quand on sait que Villard fut au début des années 2000 organiste auxiliaire de la paroisse catholique de Morges, qu’il en a dirigé le chœur paroissial pendant six ans et qu’il est toujours actif en tant qu’organiste et chef de chœur, mais dans des paroisses du canton de Fribourg. Le répertoire liturgique lui est donc familier.

Créée en 2014 par les Vocalistes Romands sous la direction de Renaud Bouvier, cette Messe bénéficie d’un enregistrement tout récent réalisé par l’Académie vocale de Suisse romande dirigée par le même chef. Disons-le d’emblée, c’est une réussite à tous points de vue: composition, interprétation, prise de son.

Le langage de l’œuvre est tonal, mais le compositeur s’autorise des passages où il brouille la tonalité, pour mieux y revenir; des dissonances parsèment certes la partition, mais n’apparaissent pas de manière arbitraire et n’agressent pas l’oreille. Etant lui-même chanteur, Villard a soin de développer de belles phrases vocales, de ne pas martyriser les voix avec, par exemple, de grands sauts d’intervalles. Les différentes parties du texte de la messe sont mises en valeur par un traitement musical respectueux du sens. Une petite réserve cependant: le compositeur, qui dit travailler par plans sonores, aime les longues tenues d’accord étales et en abuse un peu dans le Credo ou l’Agnus Dei, d’où un manque de relief sonore, impression accentuée par des tempi peu contrastés. Mais c’est là péché véniel (de jeunesse certainement!) pour une œuvre qui touche par sa sincérité, sa ferveur et qui mérite d’entrer pleinement dans le répertoire de la musique sacrée de notre temps.

Le couplage sur le disque avec la Messe à double chœur a cappella de Frank Martin est tout naturel. Ecrite en 1922 (sauf l’Agnus Dei, qui est de 1926), cette œuvre n’était pas destinée à la publication, a fortiori à l’exécution en public, Martin considérant qu’il s’agissait d’«une affaire entre Dieu et [lui]»; en 1969, sur l’insistance d’un chef de chœur allemand, il consentit à l’exhumer de ses tiroirs; depuis, c’est l’une de ses œuvres les plus jouées et enregistrées malgré sa difficulté d’exécution. Elle n’est pas représentative du langage de la maturité de Martin, mais, par le raffinement de son écriture, elle dégage un charme et une émotion indéniables. Si le langage des deux compositeurs diffère totalement, deux passages dans le Christe eleison et l’Hosanna de la Messe de Villard sont presque des citations de l’œuvre de Martin, comme un hommage du cadet à son aîné. L’interprétation des chanteurs romands, emmenés cette fois par Dominique Tille, est remarquable de souplesse et de musicalité; peut-être aurait-on pu adjoindre à ces vingt-quatre chanteurs quelques voix supplémentaires, certaines parties de l’œuvre demandant en effet un chœur plus fourni, plus «symphonique». Voilà donc un très beau disque que tout amateur d’art choral sacré se doit d’acquérir.

Encore une remarque qui n’a rien de musical: pourquoi un label discographique dont le siège est à Prilly nous indique-t-il que les œuvres ont été Recorded in Eglise de la Roche (Switzerland), 12-15 July 2021? Pourquoi lit-on uniquement en anglais Artistic Direction, Cover&Booklet Photos, Acknowledgements, etc.?

Référence: Valentin Villard et Frank Martin, Doubles messes a cappella, Académie vocale de Suisse romande, direction Renaud Bouvier et Dominique Tille. Disque Claves 50-3003, 2021.

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