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Les liens qui libèrent

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2195 25 février 2022

Le périodique Pages de gauche a publié, l’un en face de l’autre, deux articles sur le mariage. Le premier, signé Antoine Chollet, Joakim Martins et Zoé Seuret, s’intitule «Comment s’unir?» Il affirme que le mariage est un esclavage, puisqu’il contraint à un travail non rémunéré effectué contre des prestations en nature. C’est aussi une forme de prostitution de la femme, contrainte pour subsister de mettre son corps à la discrétion de son mari. Le mariage bourgeois, en particulier, est une institution qui, à l’exclusion de toute question d’amour, ne vise qu’à conserver la maîtrise du patrimoine familial, fortune, terres, entreprise, à travers les générations. L’institutionnalisation de la relation amoureuse par l’Eglise et l’Etat complique tant son épanouissement que sa dissolution: l’engagement comme le désengagement amoureux doivent résulter d’une décision individuelle. Enfin, vis-à-vis des couples non mariés, le mariage engendre des privilèges inacceptables. Il convient donc, par simple souci d’égalité entre l’homme et la femme ainsi qu’entre les différentes sortes de couples, de supprimer toute différence entre le mariage et le non-mariage.

Le second article, intitulé «Le mariage, un lien qui libère», corrige partiellement le premier. Tout en restant, autant que nous puissions en juger, dans une perspective marxiste, son auteur, M. Hervé Roquet, affirme que la notion de «mariage de gauche» n’est pas un oxymore. Il y voit l’une des rares formes légales abolissant la propriété privée individuelle, […] le premier niveau d’un communisme réellement existant où la propriété ne serait que d’usage. A ses yeux, le mariage permet d’expérimenter cet idéal égalitaire majeur de la tradition socialiste et communiste.

Le mariage, dit-il encore, institue collectivement – de manière publique et solennelle – un lien volontaire de réciprocité, de solidarité et d’assistance dans le temps long, « jusqu’à ce que la mort vous sépare» dit la formule. C’est une temporalité qui engage la vie entière des mariés et qui tente donc d’extraire cette relation interpersonnelle du marché des relations intimes, sexuelles ou amoureuses, vers lequel le capitalisme nous pousse.1

Le premier article propose une vision individualiste de la relation entre l’homme et la femme: pour ses auteurs, le couple ne contient aucune réalité qui lui soit propre, il n’ajoute rien aux individus. Le tout n’est que la somme des parties. Chaque individu, débarrassé des contraintes de la loi et de la religion, décide librement de s’associer en couple ou de rompre l’association quand elle ne lui convient plus. La conception marxiste rejoint ici celle des néo-libéraux, lors même que l’une vise à renverser le capitalisme et l’autre à le renforcer.

L’auteur du second article énumère, sur la base de son expérience personnelle, les vertus propres au mariage, la solidarité, l’entraide, la mise en commun des biens et des responsabilités. Son caractère public, son officialité même le renforcent dans la durée. Il est remarquable qu’un journaliste communiste reconnaisse la réalité spécifique et les apports irremplaçables de cette forme particulière de relation humaine qu’est la communauté familiale, où le tout est plus que la somme des parties, où l’individu se réoriente en fonction du bien commun et dans laquelle l’homme réalise plus complètement son humanité.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Le couple, germe de la famille, est sans doute la plus évidente des communautés, mais il y en a d’autres. En recourant à la même approche empirique, M. Roquet discernerait semblablement les apports humains de la communauté professionnelle, par exemple, qui lie les «partenaires sociaux» et protège les employés de toute catégorie contre l’exploitation à outrance et la prolétarisation.

Et ce n’est pas moins vrai des autres communautés, dites «intermédiaires», plus ou moins étendues, plus ou moins profondes, plus ou moins nécessaires. Qu’elles soient religieuses, entrepreneuriales, estudiantines, culturelles ou de politique locale, les liens qu’elles établissent, avec leurs contraintes, leurs privilèges et leurs libertés spécifiques, pourvoient la personne d’une marge d’autonomie concrète, tout en la préservant à la fois de la solitude individuelle et de l’uniformité totalitaire.

Il en va encore de même avec la nation, structurée en Etat, qui protège ces liens libérateurs contre les menaces de dissolution, en particulier, aujourd’hui, le mondialisme économique et financier. On se réjouit de lire, dans un prochain Pages de gauche, une apologie de la communauté nationale.

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