Le gnouf des pignoufs
Nous pourrions, comme beaucoup d’autres journaux, vous parler du réchauffement climatique, de la sécheresse, de la pollution de l’air, de la disparition de certaines espèces animales, des pandémies de coronavirus et de variole du singe, des risques de guerre mondiale, d’anéantissement nucléaire et de soulèvements sociaux dus à la pénurie d’électricité, de gaz et de papier-toilette.
Mais au risque de froisser les lecteurs qui, nourris de films-catastrophes, éprouvent une certaine satisfaction dans l’angoisse perpétuelle et la peur universelle, nous allons plutôt évoquer ici un message positif et d’espoir. Un message qui permet de s’évader, si l’on peut dire, de notre quotidien anxiogène. Seul bémol, il ne s’agit pas d’un espoir pour les honnêtes gens, mais seulement pour les personnes qui purgent une peine de prison. (Nous sommes conscients que, par les temps qui courent, la distinction entre les honnêtes gens et les criminels n’est peut-être plus aussi évidente qu’autrefois; mais là n’est pas notre propos.)
Le Matin Dimanche du 5 septembre dernier nous apprend en effet que plusieurs cantons romands construisent actuellement de nouvelles prisons, ou en rénovent des anciennes, et que l’élément essentiel des nouvelles cellules sera leur fenêtre, dorénavant grande et sans barreaux, décorée de rideaux, ouverte sur le paysage par-dessus les murs d’enceinte, exprimant le contact avec l’extérieur et «évoquant la perspective d’une sortie».
Cette belle innovation résulte des cogitations de quelques intellectuels, qui ont parfois eux-mêmes fait de la prison (à l’instar de l’architecte cantonal genevois, ex-objecteur de conscience), et qui ont décrété un nouveau concept de «sécurité dynamique». Selon ce concept, toute l’architecture des nouvelles prisons doit être «axée sur l’empathie», afin que le séjour des détenus soit le plus agréable et reposant possible. On peut résumer l’idée en disant qu’autrefois on faisait tout pour que les prisonniers ne s’échappent pas, alors qu’aujourd’hui on fait tout pour qu’ils aient envie de revenir. (Exprimé en langage commercial, on dira qu’on abandonne le modèle du client captif pour celui du client fidélisé, l’objectif étant que l’établissement reste toujours plein.)
La mauvaise nouvelle (car il y en a quand même une), c’est que cette évolution ne plaira pas aux anciennes générations de détenus – les plus rétrogrades, les détenus de grand-papa, ceux qui chérissaient le goût de l’effort et savouraient la satisfaction d’une évasion bien réussie. Quel plaisir aura-t-on, à l’avenir, à s’échapper d’une taule devenue passoire, par des portes et des fenêtres grandes ouvertes, garnies de rideaux? Heureusement qu’il restera quelques escape rooms privées.
La bonne nouvelle, c’est que les prisons vaudoises pourront prochainement accueillir Sylvester Stallone (76 ans) et Arnold Schwarzenegger (75 ans) pour le tournage d’Evasion 4, un film d’environ 10 minutes garanti sans cascades, sans violence et sans suspense.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La mort d’une reine – Editorial, Félicien Monnier
- Le génie du mal – Lars Klawonn
- Des chiffres aux lettres – Jean-François Cavin
- Le grand écart – Olivier Delacrétaz
- Encore le gymnase en quatre ans et nouvelles surprises – Yves Gerhard
- Fils de pasteur – Jacques Perrin
- Retour à Beaulieu – Jean-François Cavin