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Michel Corboz: un legs discographique

Frédéric Monnier
La Nation n° 2223 24 mars 2023

Décédé en septembre 2021, le chef de chœur Michel Corboz avait enregistré depuis le milieu des années soixante un nombre considérable de disques. Or voici que la firme Erato (pour laquelle le chef fribourgeois avait du reste enregistré jusqu’au début des années nonante) a édité, il y a quelques mois, un coffret bien dodu de 74 disques qui regroupe des compositeurs de la Renaissance et du baroque1. Seuls quelques-uns de ces enregistrements avaient connu des reports sur disques compacts, il est heureux que l’intégralité soit maintenant disponible en format numérique.

Au début était Monteverdi: remarqués en 1964 par Michel Garcin, directeur artistique d’Erato, le tout jeune Ensemble vocal de Lausanne et son chef fondateur enregistrent la même année leur premier disque avec la Messe à quatre voix du compositeur italien et des Répons de son prédécesseur Ingegneri. Du même Monteverdi suivront dans la foulée des enregistrements mémorables des Vêpres (1967), de l’Orfeo (1968, avec l’inoubliable Eric Tappy dans le rôle-titre), de madrigaux et, surtout, de la Selva morale et spirituale, qui fut longtemps le seul enregistrement intégral de cette extraordinaire «forêt morale et spirituelle» comprenant des psaumes, hymnes et motets. C’est donc bien Corboz avec son Ensemble vocal et instrumental de Lausanne qui fut, avant les Harnoncourt, Christie et autres Gardiner, le véritable pionnier de la redécouverte du génie de Crémone.

On trouve dans ce coffret d’autres compositeurs italiens plus ou moins contemporains de Monteverdi et que Corboz a aussi contribué à sortir de l’ombre: G. Gabrieli (ses somptueuses Sacrae Symphoniae écrites pour l’église Saint-Marc de Venise), Carissimi (l’histoire sacrée Jephté, avec son bouleversant chœur final), Cavalli (l’opéra Ercole amante, une des rares incursions de Corboz dans ce domaine), A. Scarlatti, Marcello; à cela s’ajoutent six disques de musique sacrée de Vivaldi, répertoire également peu exploré à l’époque, tout comme, dans le domaine de la musique française du Grand Siècle, Charpentier (là, avec le chœur et l’orchestre de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne) ou Delalande.

La plus grande partie de ces enregistrements date des années soixante et septante, et on doit bien admettre qu’on ne chante plus aujourd’hui ces musiques avec ce vibrato (jamais excessif, il est vrai), ces effectifs parfois pléthoriques et ce legato «romantique»; pourtant, si on peut encore les écouter aujourd’hui, c’est qu’on y trouve quelques grands moments d’émotion que Corboz, avec son intuition musicale, son sens inné de la ligne vocale (quelle souplesse!), savait tirer de ses chanteurs et instrumentistes2.

L’autre pôle (nord si l’on veut, Monteverdi représentant le sud), c’est évidemment Bach3, avec quelques cantates, les quatre Messes luthériennes (ne comportant que le Kyrie et le Gloria), le Magnificat, les Passions selon saint Jean et selon saint Matthieu, ainsi que trois (!) versions de la Messe en si. Enregistrées en 1972, 1979 et 1996, elles permettent de juger de l’évolution d’un chef qui, quoi qu’on en dise, n’a pas été insensible au mouvement de renouveau de la musique baroque avec les interprétations «historiquement informées»; il a su s’y adapter sans tomber dans le dogmatisme et, surtout, sans perdre sa musicalité.

Pour terminer, signalons parmi ces nombreux enregistrements, un disque surprenant: celui où le chef dirige la (défunte) Chanson de Lausanne4 dans un répertoire où on ne l’attend pas forcément; on peut ainsi entendre, parmi d’autres, des chœurs de Doret, Jaques-Dalcroze ou Hemmerling, compositeurs que Corboz appréciait et que malheureusement on ne chante plus guère aujourd’hui.

Notes:

1   Les chanteurs portaient le costume aux couleurs rouges et blanches de la capitale!

2   Un jour qu’on lui demandait quels étaient ses trois compositeurs favoris, Corboz avait répondu d’un ton amusé: Bach, Bach et Bach!

3   Un exemple parmi d’autres et qu’on trouve sur YouTube: le répons pour voix et orchestre de Charpentier Tenebrae factae sunt, avec le baryton Huttenlocher au sommet de son art, un moment de grâce!

4   Un second coffret (34 disques) de Haydn et Mozart à F . Martin et Duruflé sera disponible en avril.

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