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Sièges éjectables?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2228 2 juin 2023

Le métier de gouverner est l’un des rares qui n’exige aucune formation et où l’on ne risque pas le renvoi en cours de mandat. Quant à la formation, certes, les élus sont en général choisis parmi les politiciens aguerris; ils connaissent donc le milieu, ses habitudes, ses règles, ses traquenards, et ont pu souvent se frotter dans leurs fonctions parlementaires à certains dossiers du moment. Ils n’ont en revanche pas nécessairement l’expérience de la gestion, ni de fortes lumières sur les objets dont ils auront à diriger le traitement. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose: à la tête d’une administration en général très structurée et assez compétente, ils apportent peut-être un regard neuf, un jugement politique dégagé des considérations techniques.

Mais il est possible qu’un élu ne fasse pas l’affaire. En toute objectivité et indépendamment des options politiques, nous dirons même que ce n’est pas rare. Dans nos souvenirs plus ou moins récents, c’est advenu au moins quatre fois au Conseil fédéral et quatre fois aussi au Conseil d’Etat vaudois. Et il n’est pas certain, tant s’en faut, que l’étape de la réélection en début de législature apporte l’occasion d’une sanction; car les listes collectives – pour l’élection populaire – et les coalitions partisanes – devant le peuple ou le parlement – peuvent efficacement garantir ou faciliter l’obtention d’un nouveau mandat.

Des membres du Mouvement suisse pour la liberté, exclusivement suisses-allemands pour l’instant, veulent modifier le système; ils lancent une initiative populaire visant à soumettre les conseillers fédéraux à un vote de confirmation périodique. Tous les deux ans, en septembre, le peuple et les cantons voteraient pour confirmer individuellement le mandat de chaque membre de l’exécutif; si l’un d’eux n’obtient pas la double majorité, il quitte le gouvernement; l’Assemblée fédérale élit un successeur avant la fin de l’année.

Les initiants ne veulent pas seulement sanctionner l’inaptitude, mais encore débusquer le mensonge. A cause de la collégialité, disent-ils, les conseillers fédéraux cachent leurs opinions et vont même jusqu’à les trahir: «les conseillers fédéraux doivent arrêter de mentir!», s’exclament ces réformateurs.

C’est pourtant bien là que, dans ce projet iconoclaste, le bât blesse. Les membres du Conseil fédéral doivent respecter la collégialité, principe inhérent à notre régime politique. Les grandes décisions sont donc le fait du gouvernement et non d’un de ses membres. Comment juger dès lors du mérite personnel? Les parlementaires, observant les choses de près et bénéficiant des bruits de coulisses, peuvent certes apprécier la qualité du travail des uns et des autres; pour le peuple et les cantons, c’est beaucoup plus difficile. Le Mouvement pour la liberté le reconnaît d’ailleurs implicitement, puisqu’il s’oppose à l’idée d’une élection du Conseil fédéral par le peuple, telle que proposée par l’UDC en 2013: «Cela n’a pas de sens d’élire des gens que l’on ne connaît pas», explique son porte-parole. Serait-ce vraiment différent pour une confirmation?

L’initiative, loin de proposer une épreuve de vérité, privilégierait bien plutôt l’image médiatique. Et cette image ne reflète pas la valeur de chaque magistrat. On le voit à l’occasion de sondages d’opinion périodiques sur les conseillers fédéraux; les meilleurs sont souvent en queue de liste et c’est le plus sympa ou la plus souriante qui mène le peloton. Or il n’est pas exclu que le plus terne soit le plus sensé. Le vote de confirmation pousserait les élus à la démagogie.

Dans les cantons, l’élection du gouvernement par le peuple n’échappe certes pas entièrement à ce même risque; mais la proximité des magistrats favorise une certaine connaissance des personnes et de leur action. Au niveau suisse, la diversité des biotopes politiques fait que le Zurichois ne connaît de l’élu fribourgeois que sa figure médiatique, et le Vaudois de même pour la Saint-galloise. La Confédération étant un conglomérat d’entités cantonales très variées qui ne s’interpénètrent guère, il est au fond fort convenable que l’écran de la collégialité estompe les profils individuels dans un relatif anonymat, que notre vie politique s’épargne les frénésies du culte de la personnalité et que l’action gouvernementale bénéficie d’une certaine continuité sous la conduite d’élus assis pour la législature sur des sièges bien stables.

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