Le siècle des limaces
En 2001, une initiative populaire fédérale intitulée «Rues pour tous» (à l’époque, même les révolutionnaires n’utilisaient pas le langage inclusif), qui demandait d’imposer une vitesse maximale de 30 km/h dans les localités, a été rejetée par tous les cantons et 80% des votants.
Depuis lors, la société a évolué, comme on dit. De nouvelles générations sont arrivées à maturité, (ré-) éduquées par les services de la jeunesse et donc conscientes que la voiture représente le Grand Satan et la vitesse le Petit Satan. A défaut de pouvoir compter sur une majorité de la population, le lobby de l’immobilisme est désormais assez puissant pour imposer ses conceptions en matière de mobilité. Après le siècle des Lumières, voici celui des limaces.
Dans ce contexte, on a vu apparaître en Europe la notion de «villes 15 minutes», qui vise à éviter que les individus se déplacent à plus d’un quart d’heure de chez eux. Autrefois, en un quart d’heure, on traversait Lausanne en voiture en bénéficiant des ondes vertes; aujourd’hui, à 30 km/h au milieu des chicanes, des ralentisseurs, des feux rouges allongés et des présélections rétrécies, on va évidemment moins loin. La règle vaut aussi pour les transports publics: avec des arrêts de bus tous les quatorze centimètres (les bienfaits de la marche restent réservés aux seuls automobilistes), on ne va pas non plus bien loin en quinze minutes.
(Mise en garde: le concept de «villes 15 minutes» a été instrumentalisé par d’inquiétants complotistes, qui ont prétendu qu’on allait interdire aux habitants de s’éloigner de chez eux en les confinant dans un périmètre restreint. En réalité, il s’agit d’un concept doux et bienveillant, développé par des scientifiques humanistes, dont l’objectif est que nous n’ayons plus envie d’aller voir plus loin. Ce sont par ailleurs les mêmes complotistes qui ont prétendu que le 30 km/h de nuit, en test sur deux rues de la ville, allait nécessairement se généraliser à tout le territoire communal, et qui ont ensuite prétendu que le 30 km/h de nuit sur tout le territoire communal allait nécessairement être étendu à toute la journée.)
Le 23 mai dernier, la Municipalité de Lausanne, qui avait annoncé son intention d’imposer enfin le 30 km/h 24 heures sur 24, a généreusement accepté de repousser de trois ans sa marche triomphale vers le Progrès. Elle a en effet signé un accord avec les représentants des commerçants et des partis de droite, promettant qu’une vingtaine de rues de la ville resteront à 50 km/h en journée (mais pas la nuit) jusqu’à fin 2026.
Quelques esprits fâcheux ont estimé que cet accord était une trahison à l’égard des automobilistes. Pour notre part, nous pensons que si la gauche et la droite lausannoises ont réussi à s’entendre sur des questions aussi délicates, il serait étonnant que les Russes et les Ukrainiens n’y parviennent pas eux aussi – sans préjuger, bien sûr, de qui laissera une vingtaine de régions à l’autre.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Mouvement écologique perpétuel – Editorial, Félicien Monnier
- Canton – Pierre-Gabriel Bieri
- Sièges éjectables? – Jean-François Cavin
- Passé simple, un numéro sur Orbe – Yves Gerhard
- Les Rochat, une saga – Jean-Blaise Rochat
- La civilisation n’est pas un cadre politique – Olivier Delacrétaz
- Revendication du salami – Benoît de Mestral
- Au service de l’histoire constitutionnelle suisse – Lionel Hort
- Comprendre – Jacques Perrin