Mouvement écologique perpétuel
Les votations du 18 juin nous offrent deux objets écologiques: la loi climat, une loi fédérale-cadre appelée à fonctionner comme un véritable «trou noir centralisateur»1, et une initiative cantonale «pour la protection du climat» tendant à décarboner les activités de l’Etat de Vaud et des communes d’ici à 2050.
Le Conseil d’Etat a fait sienne cette initiative, et le Grand Conseil le suit. Nous aurions beaucoup aimé recommander à nos lecteurs de l’accepter comme une sorte de contre-projet cantonal à la loi fédérale. Mais nous ne le ferons pas et refuserons tous les deux.
Le cadre cantonal est certes plus proche des réalités politiques quotidiennes. Ses institutions, la conception de l’exercice du pouvoir qu’elles expriment, correspondent mieux au Pays auquel elles s’appliquent. Elles retranscrivent l’histoire d’un Canton autant que ses réalités géographiques et environnementales. Nos trois cent deux communes, nos dix districts, nos infrastructures de transport et de communication, nos écoles, notre police et notre université prolongent concrètement la liberté politique des Vaudois.
C’est dans cette perspective que de nombreuses mesures cantonales sont déjà prises en matière environnementales. Il suffit de penser à la modification de la loi forestière qui tend à anticiper les influences du changement climatique sur nos ressources sylvestres tout en les valorisant. La loi cantonale sur l’énergie encourage l’utilisation des ressources indigènes. Récemment, le Conseil d’Etat a obtenu un crédit de 2,4 millions pour accompagner les communes dans leurs démarches environnementales. Quoi qu’on pense de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, ces mesures valent mieux que toutes les centralisations fédérales.
La Constitution cantonale formule, en son article 6, les buts et les moyens généraux de l’activité de l’Etat. Au nombre des buts figurent aujourd’hui «le bien commun et la cohésion cantonale» ou «l’intégration harmonieuse de chacun au corps social». Mais aussi (et déjà) «la préservation des bases physiques de la vie et la conservation durable des ressources naturelles», de même que «la sauvegarde des intérêts des générations futures».
L’initiative veut ajouter à cette liste «la protection du climat et de la biodiversité ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique et les dérèglements qu’il génère». Cela est une parfaite répétition des deux objectifs précédents. Le Conseil d’Etat – malgré son soutien au texte – le relevait déjà dans son préavis de janvier 2022.
Au nombre des moyens, l’initiative précise que «dans son activité, l’Etat tient compte de l’urgence environnementale». A la redondance des buts, l’initiative ajoute une contrainte temporelle. Elle institue une véritable urgence permanente. Ce qui est pourtant contradictoire. Il est symptomatique que la suppression de cet article ne soit pas prévue dans le cas où les objectifs de décarbonation se trouveraient atteints. Il perdrait pourtant sa raison d’être. Le but des Verts, auteurs de l’initiative, était d’imprimer un rythme aux politiques environnementales de l’Etat de Vaud; de contraindre l’administration à entrer dans leur dynamique, pas d’atteindre un objectif précis. Il faut regretter que le Conseil d’Etat se soit laissé prendre à cette philosophie de l’action mêlée de romantisme du dernier moment. Le Gouvernement devait, au moins, proposer un contre-projet épuré de cette injonction à la trépidation politique.
Nous ne sommes pas des partisans forcenés de la pureté constitutionnelle. Il sera rare de lire dans ces colonnes qu’un objet «n’a pas sa place dans la Constitution». Certains objectifs peuvent n’être atteignables que par le recours à l’initiative populaire.
Nous contestons cependant que l’urgence climatique puisse fonctionner, au sein de la Constitution cantonale, comme la mesure du rythme de l’activité étatique. La Constitution est par nature la description d’un état, avec ou sans majuscule. Le préfixe «st-» rappelle l’étymologie du terme, que l’on retrouve dans «stabiliser», «estat» (vieux-français d’état), «statut», «instituer» ou «établir». Il est incohérent que la Constitution adopte un mouvement et cherche à donner une cadence. Les réalités politiques d’un pays – que décrit la Constitution – ne peuvent supporter n’importe quel rythme. En particulier lorsqu’il se définit par son urgence, autant dire «tout de suite». Les politiques environnementales doivent tendre à préserver nos cadres de vie, c’est entendu, pas à détruire leurs réalités morales et culturelles en les forçant au changement à vitesse insupportable.
Cette contradiction est enfin synonyme de saut vers l’inconnu, donc de perte de maîtrise. En situation de crise, la rapidité, voire la brutalité, se confond trop souvent avec la qualité. Pour se convaincre que l’on conjure l’urgence, l’activisme devient une fin en soi. Institutionnalisée, l’urgence climatique autorisera toutes les surenchères. L’initiative cantonale pour le climat marquera une dépossession du politique. Ses soutiens actuels en seront les premières victimes. Nous voterons NON.
Notes:
1 Voir «Le plan vicenno-septennal», in La Nation n°2224, du 7 avril 2023.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Canton – Pierre-Gabriel Bieri
- Sièges éjectables? – Jean-François Cavin
- Passé simple, un numéro sur Orbe – Yves Gerhard
- Les Rochat, une saga – Jean-Blaise Rochat
- La civilisation n’est pas un cadre politique – Olivier Delacrétaz
- Revendication du salami – Benoît de Mestral
- Au service de l’histoire constitutionnelle suisse – Lionel Hort
- Comprendre – Jacques Perrin
- Le siècle des limaces – Le Coin du Ronchon