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Droit de vote des étrangers 1/2: les initiants

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2234 25 août 2023

Le mouvement Ag!ssons a fait aboutir une initiative pour accorder le droit de vote cantonal aux étrangers. La Ligue vaudoise la combattra. La citoyenneté découle de la naturalisation, qui seule devrait consacrer l’assimilation.

L’ambiance

Sur son site internet1, le mouvement Ag!ssons proclame sa foi: «Un autre monde est encore possible: démocratique, écologique et social.» Il se définit comme «un mouvement citoyen et apartisan». Il prétend «réunir et organiser des milliers de personnes». Son but est « d’imposer des changements radicaux dans notre société et faire de ce monde une réalité».

Il entend déposer des «vagues d’initiatives» pour «imposer ses thèmes (…) et faire bouger les lignes du possible». Il répète vouloir « réaliser l’impossible: construire et mener une révolution démocratique verte».

Pour Ag!ssons le monde doit être urgemment transformé en profondeur, mais dans l’enthousiasme. L’impossibilité présupposée des objectifs sert de catalyseur motivationnel. Son objectif final est écologique.

Le programme

Le programme d’Ag!ssons prône une démocratie «politique», «économique» et «territoriale». Il centre sa conception des institutions sur la participation la plus large possible aux choix politiques, la transparence et une défiance générale à l’égard de la classe politico-économique.

Ses propositions d’initiatives dessinent ses préoccupations: abolition de la double-majorité au niveau fédéral, tirage au sort du Conseil national, limitation du «lobbying à Berne», interdiction des récoltes de signatures payantes ou du cumul des mandats, droit de vote pour toutes les personnes travaillant en Suisse. Sa tendance antiparlementaire est séduisante, mais ses conclusions très éloignées des nôtres.

Il étend son horizontalisme au monde de l’économie et demande un droit de véto des employés, une semaine de travail de quatre jours, un revenu de transition écologique. La démocratisation des rapports de travail améliorera le flux des ressources planétaires et les conditions de travail.

Ses préoccupations vont à la gestion du territoire, dont il ouvre à raison la notion à l’alimentation, au paysage et au logement. La privatisation en dépossèderait les citoyens, au profit de grandes entreprises et d’individus fortunés. Ag!ssons en déduit comme une nécessité de flouter la distinction entre public et privé en multipliant les coopératives, en contrôlant les loyers et en renforçant les droits de ce qu’il appelle les «populations locales».

Ouvertement étatiste, Ag!ssons en appelle à la «Planification écologique». Elle s’étend à la préservation des «limites planétaires», à «l’harmonie entre vivants» et à la garantie de «services universels de base». Elle recourt principalement à l’interdiction, du «béton inutile» ou des «SUV pollueurs». Une «super AVS» et des transports publics gratuits apporteraient un service universel de base. Enfin, l’harmonie entre vivants concentre différents combats: antispécistes par l’adoption d’une «déclaration universelle des droits du vivant», féministes par celle d’un «plan national de lutte contre les violences sexistes». Il s’agit d’instaurer des «politiques globales du care», dans tous les domaines de la vie.

Finalement, Ag!ssons intitule «Solidarité internationale» sa conception des relations internationales. Elle s’en prend au secret bancaire suspecté de protéger les oligarques, aux taux d’imposition trop profitables aux multinationales pollueuses, et à notre meurtrière industrie de l’armement. Les propositions vont dans de nombreuses directions, de l’instauration d’un statut de réfugié climatique, à la déprivatisation des génomes en passant par une sortie du système «de libre-échange néo-colonial».

Au cortège des luttes intersectionnelles, nouveau champ idéologique de l’extrême-gauche, se mêlent en fourre-tout des revendications altermondialistes classiques, mais également des critiques intéressantes de la démocratie libérale.

L’organisation

Lors d’une conférence de presse du 7 décembre 2022, Ag!ssons a fait remonter sa création au 21 mars 2022, date à laquelle il aurait émis un «appel», que nous n’avons pas retrouvé2. Mais pour émettre quelque chose, il faut exister. L’organisation et la génération spontanées n’existent pas en politique.

Dans ses vidéos apparaît de manière récurrente M. Steven Tamburini. Sur X (ex Twitter), il se présente comme «ancien gréviste du climat, organisateur éco-socialiste, co-initiateur et porte-parole du mouvement pro-démocratie Ag!ssons».

On trouve aussi une visio-conférence animée par Sarah Durieux, ancienne directrice de l’antenne française du site de récolte de pétitions change.org. Elle est l’auteur de l’ouvrage «Changer le monde, Manuel d’activisme pour reprendre le pouvoir» (Editions First, 2021). En ouverture de cet atelier en ligne, M. Tamburini se référait aux travaux et méthodes du groupe (et site internet) Organisez-vous.org. Cette plateforme offre des formations au militantisme politique dans le domaine des «luttes», féministes, antiracistes, rurales et écologiques. Son slogan est «sans pouvoir, pas de justice». Elle tend à construire un «pouvoir collectif» à travers l’organisation des réseaux militants.

Le ton rappelle celui du «Comité invisible», ce groupe secret auteur en 2007 de L’insurrection qui vient3, écoulé à 45’000 exemplaires et dépeint comme le livre de chevet de l’extrême-gauche européenne. Autour de ce petit monde flotte comme une odeur de Zad.

La page Facebook d’Ag!issons révèle l’implication récente d’Angela Zimmermann, co-présidente des jeunes Verts vaudois et candidate au Conseil des Etats. Selon leur site, l’essayiste Myret Zaki, la Professeure Julia Steinberger et les humoristes Thomas Wiesel et Blaise Bersinger soutiendraient le mouvement.

La stratégie

Ag!ssons recourt aux outils de la démocratie directe. Cela revient à franchir un pas institutionnel que la Grève du climat se refusait. Il a ainsi lancé dans le Canton quatre initiatives: une première formulée en termes généraux (sans proposition d’article précis) «pour la promotion et le développement de la démocratie»; une deuxième pour réduire de 12’000 à 10’000 le nombre de signatures requis pour une initiative; une troisième pour porter à une année seulement le délai entre le dépôt d’une initiative et sa soumission au vote. Une quatrième veut donner le droit de vote aux étrangers domiciliés en Suisse depuis 10 ans, dont 3 dans le Canton. Seule cette dernière a abouti.

Ce paquet d’initiatives devait faciliter le recours aux initiatives tant au niveau des principes que de la récolte. Il devait mettre le Grand Conseil sous pression (délai de traitement) et, simultanément, ouvrir le corps électoral aux étrangers. Une fois ces quatre initiatives acceptées, un nouveau paquet aurait suivi, sans doute tiré du foisonnant programme d’Ag!ssons.

Nous avons souvent souhaité un abaissement du nombre de signatures, mais plutôt pour le référendum, ou déploré sans illusions les lenteurs du Grand Conseil. Si on peut être admiratif, il faut demeurer sur ses gardes devant cette ingénieuse stratégie.

Ce qui frappe le plus est son opacité. Tout y est à la fois fluide et organisé, empathique et autoritaire. Le financement est participatif, les décisions partagées. Et pourtant rien n’y est saisissable. On ne retrouve aucune référence historique, aucun ancrage national, et le nom d’aucun responsable. La démocratie directe ne sert à ces personnes qu’à exprimer une volonté générale idéologique, égalitaire et sans frontières. Les mots «souveraineté», «nation», «communes» – même le très polysémique «communauté», ou le très consensuel «pays» – sont absents du discours.

Son initiative est tout autant décalée des réalités politiques traditionnelles. Nous la traiterons dans le prochain numéro.

Notes:

1      https://agissons-ch.org/a-propos

2     https://www.youtube.com/watch?v=VyC_3l3sgPE

3     L’insurrection qui vient, La Fabrique, Paris 2007.

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