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D’Ilya Ehrenbourg à Blaise Hoffmann

Daniel Laufer
La Nation n° 2234 25 août 2023

«Sur le lopin de terre asséchée, un pasteur hollandais célébra un Te Deum: «Faites que le blé pousse!» De l’autre côté de l’Océan, d’autres pasteurs bénissaient un feu: ils bénissaient le feu uniquement parce qu’il y avait trop de froment dans le monde: il était urgent de le détruire. Cependant, en Hollande, dans les terres conquises sur la mer, les hommes semaient du froment. Et que vouliez-vous qu’ils fissent, ces laborieux Hollandais? Ils ne pouvaient pourtant pas immerger de nouveau leurs terres! Ils semaient, espérant dans le secret de leur âme une mauvaise récolte. La récolte fut bonne. Alors, ils se mirent à chercher comment ils pourraient détruire le blé.» Et plus loin: «Ainsi donc, l’on a trouvé un remède contre la crise: il faut tuer les vaches pour en nourrir les cochons.»

Vous avez lu un texte d’Ilya Ehrenbourg, grand écrivain soviétique qui ne fut pas trop inquiété par le pouvoir, en dépit de son indépendance d’esprit, parce qu’il était fermement attaché aux principes du marxisme-léninisme. Curieusement, c’est dans la Nouvelle Revue Française, édition de décembre 1933, qu’il se livre à une attaque en règle du régime capitaliste, incapable, à l’en lire, d’empêcher les conséquences désastreuses de la concurrence mondiale en matière d’économie agricole. Bien entendu, il fait mine d’ignorer l’état catastrophique de l’agriculture russe, responsable de famines épouvantables, dues au génie diabolique de Lyssenko, héros de l’Union soviétique et maître à penser d’une agriculture aussi conforme aux principes qu’absurde et contre-productive dans la réalité. Mais là n’est pas mon propos.

Si les conclusions d’Ehrenbourg étaient positivement aberrantes, il n’en demeure pas moins que sa critique, même excessive, comme son style aussi, disaient vrai. Les difficultés d’une agriculture, planifiée ou non, ne datent pas d’aujourd’hui. Il n’est donc pas surprenant de trouver chez Blaise Hoffmann comme un écho du réquisitoire du Soviétique, dans son ouvrage Faire Paysan, qui vient de paraître aux Editions Zoé. On lit: «Dans un premier temps, une grande partie des excédents céréaliers servent de fourrage bon marché pour le bétail; ils font ainsi décoller la production et la consommation de viande suisse; le trop-plein ouvre également un nouveau marché international, celui de l’aide alimentaire, un business qui mettra à mal l’agriculture de nombreux pays dits «sous-développés»» (pp. 64 & ss). Certes, Blaise Hoffmann est loin d’être un collectiviste révolutionnaire; sa peinture, précise et bien documentée, du paysan du XXIe siècle, est convaincante et elle aboutit à des conclusions qui sont à l’exact opposé des théories ehrenbourgeoises. Plusieurs exemples de réussites montrent à l’envi combien l’initiative privée et le réalisme d’un entrepreneur peuvent surmonter la crise, laquelle résulte notamment de la baisse du prix du lait. Mais il s’agit là de cas bien sélectionnés; la mutation du paysan nourricier de la nation en agriculteur protecteur du paysage ne peut se comprendre que si l’on considère d’abord que le paysan d’aujourd’hui, comme le paysan hollandais de 1933, n’est pas n’importe quel patron d’une PME; en vérité il est propriétaire depuis des générations et des générations d’une parcelle du territoire du pays, et cette situation, au fond très particulière, conditionne toute réflexion en matière de politique agricole. Cette réflexion n’est pas absente dans l’ouvrage de Loïc Bardet: Agriculture et écologie, concurrents ou alliés paru l’an dernier aux Cahiers de la Renaissance Vaudoise, et dont ce journal a présenté un utile compte-rendu dans son édition du 11 mars 2022; c’est en quelque sorte une réponse avant la lettre, mais aussi après, autant à Ilya Ehrenbourg qu’à Blaise Hoffmann!

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