Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Néo-étatisme

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2234 25 août 2023

L’Etat assure l’ordre public et l’indépendance du pays, le citoyen défend ses libertés, et les vaches sont bien gardées. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, c’est beaucoup plus complexe et beaucoup moins précis.

D’abord, les relations entre l’Etat et les citoyens sont en perpétuelle tension, tant l’Etat craint la perte de maîtrise et tant les citoyens craignent son intrusion. Ensuite, les deux ne sont pas égaux dans l’affrontement: l’Etat a pour lui la légitimité, la force, l’argent, une administration innombrable et, en démocratie, l’imagination législative effrénée du parlementaire à l’affut de l’électeur. La menace du référendum calme le jeu, sans doute, mais ceux qui le pratiquent en connaissent les difficultés et le coût.

D’autres facteurs encore contribuent à accroître le poids de l’Etat et à réduire le champ des libertés. Le progrès technique, par exemple, augmente la capacité de nuire des prédateurs de tout genre. Cela entraîne des contrôles accrus qui s’étendent fatalement à chaque citoyen, si lambda soit-il. Le moindre de ces contrôles, même accepté par souci de l’intérêt général, ou dans la sotte idée que «je n’ai rien à cacher», représente une perte de liberté pour l’individu.

L’étatisme commence quand l’Etat s’occupe durablement de questions qui ne sont pas liées à sa fonction politique. L’étatisme ne renforce pas l’Etat, mais éparpille son pouvoir dans les canaux de l’administration et le distrait de ses tâches propres.

On constate aussi une forte propension à l’étatisme chez ceux qui promeuvent une société idéale, société sans classes, société «zéro carbone», société mondialisée, société sans immigration, société sanitaire, société morale, etc. Leur cause est si excellente qu’elle justifie à leurs yeux l’attribution de pouvoirs discrétionnaires à l’Etat.

Ce n’est pas qu’ils fassent forcément confiance au gouvernement, mais ils croient que la nouvelle loi va fonctionner d’elle-même, qu’elle s’imposera aux politiciens et conservera durablement la pureté de l’idéologie qui l’a inspirée. En fait, cette pureté s’envole dès le lundi matin qui suit la victoire dans les urnes. Et cela aussi est une cause d’étatisme, car l’idéologue ne retire jamais qu’une conclusion de ses échecs: il faut alourdir l’intervention de l’Etat.

Même l’idéologie du libéralisme exige un contrôle bureaucratique renforcé de la conformité au marché libre des entreprises et de ceux qui leur demandent des offres.

Les crises récentes ont mis en lumière trois mécanisme d’étatisation. Le plus évident est le recours à l’urgence et à son cortège de pouvoirs exceptionnels. Ce recours n’est pas illégitime en cas de menace majeure, inattendue et imminente. Même alors, cependant, il doit être strictement limité, dans son extension et dans le temps, tant le pouvoir politique, autre menace majeure, y prend vite goût.

Depuis le coronavirus et le recours massif au droit d’urgence, l’exceptionnel tend à devenir l’habitude. Et cette habitude s’étend. On l’a vu avec la vente du Crédit Suisse à l’UBS. On le voit avec la limitation, sous prétexte d’urgence énergétique, des voies de recours contre les éoliennes. On a failli le voir avec la proposition de la Commission de la politique de sécurité du Conseil national qui voulait, par voie d’urgence, autoriser la vente indirecte d’armes à l’Ukraine. Le jeu s’emballe. Tout devient urgent et exige qu’on déroge aux institutions ordinaires.

Et l’Etat n’est pas seul à vouloir l’urgence. L’initiative cantonale «pour la protection du climat» introduit la notion d’ «urgence environnementale» dans la Constitution vaudoise, y introduisant aussi, du même coup, une pesanteur étatisante générale et permanente.

Un autre mécanisme est celui qui tend à faire de l’Etat le défenseur de la population face aux «complotistes». Pour empêcher la propagation du Covid et l’effondrement du système hospitalier, l’Etat fédéral et les Etats cantonaux ont fait le choix de vacciner tout le monde. Ce choix n’était pas sans risque. Certains se rebiffèrent, dont quelques médecins, qui apportèrent leurs propres chiffres et leurs propres arguments. La discussion fut d’emblée impossible, entre un Etat prétendument à la botte des «pharmas» et la minorité des «antivax», classés a priori comme des paranoïaques et des obsédés infréquentables, en un mot, des complotistes. Le gros de la population se groupa derrière l’Etat, le faisant du même coup garant et gardien de la Vérité médicale.

Cette nouvelle compétence étatique est en train de s’étendre à d’autres «complotistes», aux «climato-sceptiques», par exemple, qui contestent ou simplement nuancent les affirmations du «Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat» (Giec), aux amoureux du paysage qui s’opposent aux éoliennes, aux tenants de la neutralité qui blâment les mesures suisses contre la Russie, et, de proche en proche, à tous ceux qui, par «juridisme étroit», refusent qu’on court-circuite les institutions à tout propos.

Nous avons trouvé un troisième mécanisme d’étatisation dans un article de M. Antoine-Frédéric Bernhard intitulé «La face sombre de l’appel à la responsabilité»1. On se rappelle que le conseiller fédéral Alain Berset avait appelé plus d’une fois à notre responsabilité personnelle dans la politique Covid. En soi, il n’y a rien à redire à cette responsabilisation. Mais elle nous habitue discrètement à l’idée que le simple citoyen est un petit soldat dans les grandes manœuvres du Conseil fédéral. Et le petit soldat apprend au fil des semaines et des mois qu’il doit, pour le plus grand bien du plus grand nombre, non seulement mettre son masque sanitaire, mais aussi baisser son chauffage, se doucher rarement et de préférence à deux, manger moins salé, plus fruité et légumineux, éteindre la lumière, marcher dix mille pas chaque jour et faire du tourisme à la maison. M. Bernhard craint que cette responsabilisation à bien plaire ne se transforme tôt ou tard en obligations d’Etat. Est-ce absurde?

Notes

1   Le Regard Libre, Dossier «Infantilisation», N° 98, juillet 2023.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: