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Casimir sans sursis

Daniel Laufer
La Nation n° 2236 22 septembre 2023

Certains lecteurs trouveront étrange que La Nation évoque un même auteur à deux reprises au cours du même été. C’est que Casimir, ressuscité deux fois, m’a tenu compagnie jusqu’à la fin d’une troisième lecture; il n’est peut-être pas tout à fait mort, tant il est vrai qu’un style sûr peut créer un personnage. Casimir en est un, à l’instar des grandes figures romanesques comme Julien Sorel ou le Tiffauges du Roi des aulnes, pour ne citer que ceux-là. Nous avons évoqué dans ce journal le Sursis de Pierre De Grandi. Casimir le précède dans son œuvre (Slatkine éd. 2021), et c’est un chef-d’œuvre.

Sous le couvert d’une pseudo-autobiographie, De Grandi a écrit un roman magistral. Edité en France, peut-être eût-il mérité le Goncourt. Il est vrai que, je ne peux le cacher, le destin de Casimir m’a personnellement touché, étant à nonante-deux ans inévitablement porté à songer à la fin inéluctable, prochaine? Mais c’est bien par le style qu’on est touché.

Il y a plus. On pourrait prétendre que Casimir est un roman à thèse. Nous sommes entourés de proches ou d’amis qui «ont choisi» d’en finir; et à chaque fois, nous sommes perturbés à l’idée que leur suicide était… comment faut-il le dire? compréhensible? épouvantable? contraire à une loi divine? finalement, au fond, normal? On évoque, presque en souriant, le suicide «fiscal» des nobles romains qui, condamnés à mort, préféraient se jeter sur l’épée que leur tendait leur esclave, pour que leur héritage ne soit dévolu à l’Etat. A lire et à suivre de jour en jour la destinée de Casimir, le doute n’est plus permis; je n’en révélerai pas la fin, m’étonnant pourtant que la presse ne se soit pas emparée d’un sujet aussi médiatique.

Casimir n’en est pas pour autant une seule démonstration. Son mérite est de suivre un personnage qui, non sans humour, est présent dès les premières lignes, assez cultivé, s’écoutant avec une sorte de dérision qui le rend sympathique, jusqu’à cet instant où il affronte la menace de la mort, et plus précisément la panique affolante de la dépendance. La détermination sans faille de Casimir dans son refus d’envisager n’importe quelle forme de dépendance prend peu à peu du relief au moment où, par exemple, le médecin lui annonce que ses deux yeux sont atteints de ce qui s’appelle la dégénérescence maculaire; pas de remède connu. Dans deux ans il sera complètement aveugle. Le génie de l’auteur parvient à nous faire entrer dans la peau du malade, non sans nous faire vivre les joies de l’instant, les amitiés, les conversations, les plaisirs d’une bonne table, l’émotion d’un beau concert, le passage des saisons encadrées dans sa fenêtre, mais toujours comme si tout cela était en quelque sorte pris sur l’ennemi. C’est saisissant.

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