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Imposition individuelle: Errare humanum… sed perseverare?

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2236 22 septembre 2023

On se rappelle que, au début de l’année, le Conseil fédéral a mis en consultation son projet de loi fédérale sur l’imposition individuelle, destiné à constituer un contreprojet à l’initiative populaire «pour une imposition individuelle indépendante de l’état civil». La Ligue vaudoise a répondu à cette procédure1. Le Conseil fédéral, après avoir pris connaissance des résultats de la consultation, a publié récemment les éléments essentiels du futur message au Parlement qu’il déposera d’ici le printemps 2024. Sans grande surprise hélas, il maintient sa ligne et s’oriente vers un système complexe, lent à mettre en œuvre, générateur de coûts importants et qui suppose que tous les cantons bouleversent leurs systèmes fiscaux.

C’est peu dire que le dossier est enlisé. Si, à la suite d’une jurisprudence du Tribunal fédéral exigeant, voici quarante ans déjà, que les couples mariés ne soient pas discriminés fiscalement par rapport aux couples de concubins, les cantons ont adapté leurs systèmes fiscaux pour satisfaire aux exigences, il n’en est pas de même pour l’impôt fédéral direct (IFD). On aimerait que ce manque de réactivité fédéral soit un motif supplémentaire d’abolir cet impôt… Son importance pour les finances fédérales le rend hélas quasiment inébranlable. Sous la pression de milieux et de partis prônant une vision toujours plus individualiste de la société, les appels à l’imposition de chaque contribuable – qu’il vive en union libre ou en couple marié – se sont fait plus présents. Et bien qu’une nouvelle initiative populaire visant à maintenir une imposition conjointe des couples mariés soit en cours de récolte de signatures jusqu’au printemps prochain («Oui à des impôts fédéraux équitables pour les couples mariés – Pour en finir avec la discrimination du mariage!»), le Conseil fédéral poursuit sa marche vers l’imposition individuelle. En quelques lignes, il est prévu d’introduire l’imposition individuelle à tous les échelons de l’Etat (Confédération, cantons et communes). Chacun des époux devra, tout comme les concubins actuellement, remplir une déclaration séparée. Les déductions pour enfants seront augmentées; en revanche pas de déduction pour les ménages ne comportant qu’un adulte ou pour les couples mariés ne disposant que d’un seul revenu.

Des cantons lucides

Il est piquant de relever qu’une forte majorité des cantons a rejeté le projet lors de la consultation. 21 d’entre eux, sur 26, ont relevé le lourd tribut administratif à payer pour mettre en place le système: un million sept cent mille déclarations supplémentaires n’est pas rien, qu’il faudra traiter, vérifier et, cas échéant, en confronter les données avec la déclaration de l’autre conjoint. En outre, ces mêmes cantons relèvent à bon escient l’ampleur du chantier législatif que représente l’intégration de l’imposition individuelle dans les normes cantonales, avec tout ce que cela suppose de débats sur le plan des barèmes, des déductions et des franchises. Une estimation raisonnable permet de penser que l’opération durera vraisemblablement près de dix ans.

Alors que l’adoption d’un système de splitting ou de quotient familial (comme le connaît notre Canton) permettrait, sur le plan de l’IFD aussi, de satisfaire aux exigences de la jurisprudence fédérale, l’adoption de l’imposition individuelle aurait encore pour effet de créer de nouvelles inégalités, tout particulièrement lorsque le couple marié ne dispose que d’un seul revenu ou d’un revenu principal et d’un revenu secondaire faible. On peut déjà penser que les travaux législatifs futurs achopperont sur la nécessité de corriger le tir.

Un effet surestimé

L’un des principaux arguments à l’appui de l’imposition individuelle est qu’elle serait plus favorable à l’exercice d’une double activité professionnelle et inciterait à poursuivre (ou à reprendre) une activité lucrative durant le mariage. Au grand maximum, l’administration estime l’effet du système à quelque 47’000 équivalents plein temps supplémentaires (EPT), une fois que tous les cantons l’auront mise en œuvre, ce qui représente 1% du total des emplois en Suisse. On se trouve ainsi dans la marge d’erreur et on n’oubliera pas que la reprise ou la poursuite d’une activité lucrative ne dépend pas seulement de la fiscalité mais aussi des choix de vie du couple, de l’offre en places d’accueil pour les enfants et du marché du travail lui-même. On doit aussi se demander sérieusement si cet objectif est compatible avec l’exigence de neutralité du système fiscal.

On le constate, l’entêtement à vouloir passer à l’imposition individuelle est déraisonnable. Alors que l’adoption, dans l’IFD, d’un splitting intégral, ou mieux du système du quotient familial, serait une mesure à la fois simple et rapide, le Conseil fédéral et son administration optent pour un bouleversement complet du système fiscal de la Confédération et des cantons, peu respectueux du fédéralisme, mais de surcroît générateur de complexité, de nouvelles inégalités et de coûts disproportionnés. La Ligue vaudoise continuera de s’opposer avec véhémence à ce projet.

Notes:

1      Cf. l’article d’Olivier Klunge, La Nation no 2020 du 10 février 2023.

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