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Les beaux sentiments énergétiques

Olivier Klunge
La Nation n° 2236 22 septembre 2023

Le 21 août dernier, le conseiller d’Etat Venizelos a présenté un projet de révision complète de la Loi vaudoise sur l’énergie (LVLEne) poursuivant «un triple objectif, celui d’accompagner la société vaudoise à consommer mieux, moins et local en impliquant tous les acteurs et actrices de la transition».1

Plusieurs mesures phares de cette réforme visent la rénovation des bâtiments qui sont responsables d’une part substantielle des émissions de gaz à effet de serre (38% pour les seuls chauffages fossiles selon le communiqué). Nous partageons volontiers l’objectif d’économiser de l’énergie en améliorant l’isolation et le chauffage des bâtiments avec des énergies renouvelables locales. Outre les avantages en termes de durabilité et d’autonomie énergétique, cela améliore le confort des habitants et usagers en diminuant les coûts d’exploitation.

Malheureusement, comme pour la Loi fédérale sur le climat récemment adoptée par le peuple, les intentions louables se traduisent dans des objectifs excessivement ambitieux, sans envisager de moyens réalistes pour y parvenir.

Ainsi, le projet de loi prévoit l’obligation de remplacer, dès l’entrée en vigueur de la loi, les chaudières à gaz, au mazout ou au charbon, par une installation fonctionnant exclusivement avec des énergies renouvelables ou un chauffage à distance; dans tous les cas au plus tard dans 15 ans, même si l’ancienne chaudière fonctionne encore (article 40). Pareillement (article 32), l’isolation des bâtiments mal isolés doit être assainie dans les 10 ans (CECB G) ou 15 ans (CECB F).

L’Etat estime qu’il y a 90’000 chaudières fossiles dans le Canton. Leur remplacement par une variante à énergie renouvelable suppose d’installer des panneaux solaires, ce qui implique le plus souvent de renforcer la charpente et le système électrique qui n’ont pas été conçus pour supporter une telle installation. De plus, il faudra généralement améliorer substantiellement l’isolation de l’ensemble du bâtiment, soit monter des échafaudages, ajouter une couche d’isolation périphérique, changer les fenêtres, les stores, parfois isoler le toit. Bref, entre CHF 100’000 pour une petite villa et plus d’un million pour un grand immeuble. Comptons une moyenne de CHF 200’000, cela donne déjà un investissement total de CHF 18 milliards sur 15 ans ou CHF 1,2 milliard par an. «Pour accélérer les assainissements dès l’entrée en vigueur de la loi, le canton propose un programme de soutien (y compris sa gestion administrative) injectant 120 millions de francs par an pour dynamiser la transition énergétique vaudoise.»

Les pouvoirs publics proposent donc de financer 10% de l’effort. Pour le reste, il est douteux que le droit du bail soit modifié pour que les locataires doivent financer l’effort par des hausses de loyers substantielles. Le Conseil d’Etat va donc obliger les propriétaires à dépenser des centaines de milliers de francs. Or, la plupart des immeubles locatifs sont détenus par des caisses de pension et des assurances. Sommes-nous prêts à voir nos retraites diminuer et nos primes augmenter pour contribuer à atteindre les objectifs du «zéro net» en 2050? La loi se garde de poser la question en ces termes.

Les propriétaires de villas ont souvent mis leurs économies et avoirs de retraite dans l’acquisition de leur domicile. Quel niveau d’incapacité financière devront-ils prouver pour que le service compétent leur octroie une dérogation (article 8)?

L’article 73 donne au Conseil d’Etat la liberté de déterminer la procédure et la nature des mesures de mise en conformité. En logique constitutionnelle, vu l’importance des montants en jeu et les conséquences pouvant aller jusqu’à l’expropriation matérielle, la loi elle-même devrait prévoir les principes de ces procédures et mesures coercitives.

Sur le plan technique également, le projet vise des objectifs exagérés. En effet, actuellement, pour les immeubles existants, le chauffage renouvelable le plus souvent posé est une pompe à chaleur air-air alimentée électriquement par des panneaux solaires photovoltaïques, parfois couplée avec des panneaux solaires thermiques (qui chauffent directement l’eau). Or, ces installations ne peuvent fonctionner (suffisamment) lors de très basses températures (il n’y a pas assez d’énergie thermique captable par l’installation pour réchauffer l’air intérieur) ou par temps couvert. Un appoint par une chaudière fossile est nécessaire. L’idéal de «l’exclusivement renouvelable» est (pour l’heure?) inatteignable.

Par ailleurs, le projet de loi ne prévoit aucune mesure pour former les ouvriers nécessaires pour passer d’un rythme de remplacement de 1’500 à 6’000 chauffages par an… Actuellement, les délais d’attente pour l’installation de panneaux solaires (fabriqués en Chine) sont déjà de six mois.

A notre connaissance, il n’existe pas non plus d’étude sur l’impact écologique (énergie grise) de détruire des installations qui fonctionnent pour les remplacer par de nouvelles installations, par rapport au bénéfice écologique attendu dans leur fonctionnement. L’économie circulaire encourage à prolonger la durée de vie des installations plutôt que de créer des déchets et importer des matériaux.

Le projet de LVLEne mis en consultation est visionnaire, généreux et ambitieux. Le courage politique eût impliqué qu’il fût aussi réaliste et proportionné dans le rapport entre ses buts et ses moyens.

Notes:

1   Les citations proviennent du communiqué de presse.

 

Fonds de rénovation

L’article 33 du projet de LVLEne prévoit: Les propriétaires de bâtiments dont la qualité énergétique de l’enveloppe correspond aux classes F et G du CECB sont encouragés à constituer et alimenter annuellement un fonds de rénovation.

L’exposé des motifs ne dit rien de la forme d’encouragement que l’Etat pourrait introduire pour ce «système de prévoyance en prévision de la modernisation des bâtiments», même s’il précise un objectif annuel de 1,5% de la valeur ECA.

Dans ce cas également, peu de concret derrière les notions aussi ambitieuses que vagues. Cet article servira-t-il à fonder une obligation? Ou restera-t-il un vœu pieu?

Nous suggérons à l’Etat de prévoir une défiscalisation (de l’impôt sur les revenus ou le bénéfice comme sur la fortune ou le capital) des montants placés dans un tel fonds de rénovation énergétique. Cet incitatif, permettant aux propriétaires de lisser leurs revenus fiscaux, constituerait une mesure efficace et non contraignante.

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