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L’Allemagne vacille

Jean-François Cavin
La Nation n° 2236 22 septembre 2023

Le voyageur coutumier des trains rapides allemands sait que l’ICE sera en retard. Et pas de quelques minutes, souvent d’une heure ou deux. Le Nebelspalter, le mois passé, a consacré un article mordant à ces chemins de fer dont on célébrait autrefois le confort et la ponctualité. On y lit que la République fédérale allemande consacre beaucoup moins d’argent par tête d’habitant à ses investissements ferroviaires que la plupart des pays d’Europe,: quatre fois moins que la Suisse, trois fois moins que la Norvège et l’Autriche, et moins que l’Angleterre, la Suède ou la Tchéquie.

Il n’y a pas que le rail qui fasse souci. Près de Francfort, il a fallu condamner un pont routier qui menaçait de s’effondrer. On estime le retard du financement des infrastructures de transport à 33 milliards d’euros, et dans les établissements de formation à 46 milliards. On a l’impression que la RFA, dans l’ivresse de ses succès économiques, a négligé d’entretenir et de moderniser ses équipements publics.

Et voici que la réussite économique, elle aussi, n’est plus au rendez-vous. Elle a été durablement favorisée par le cours de l’euro, tiré vers le bas par les pays du sud de la zone monétaire, ce dont ont largement bénéficié les exportateurs germaniques. Or cet avantage de change ne suffit plus; notre grande voisine septentrionale est tombée dans la récession depuis deux trimestres, et l’on s’attend pour l’ensemble de 2023 à une légère décroissance, à raison de -0,2 à -0,4%. Inhabituel pour la championne de la prospérité européenne! Le prix élevé de l’énergie en serait une des causes importantes.

Il est vrai que les autorités allemandes, condamnant le nucléaire, se sont largement tournées vers le gaz russe, longtemps bon marché, passant des contrats immenses avec Gazprom – où des notables germaniques trouvaient en outre de confortables fauteuils – et participant à un projet grandiose de nouveau gazoduc. Et voilà que la guerre d’Ukraine remet tout en cause. Probablement plus que la seule politique énergétique, d’ailleurs. Pour l’Allemagne, l’Ostpolitik est vitale; à l’ouest, des Etats bien constitués limitent son expansion; c’est à l’est, depuis des siècles, que son influence peut s’exercer. Mais l’axe Berlin-Moscou s’est brisé…

La RFA aurait-elle été mal dirigée depuis plusieurs années? Il est presque sacrilège de poser la question, tant était grande l’aura d’Angela Merkel. Or on ne peut exclure que son calme, sa simplicité, sa modération, son sens du compromis notamment sur la scène européenne, sa fermeté aussi en diverses circonstances – toutes hautes qualités d’un dirigeant suprême – aient masqué les erreurs de sa politique énergétique, un gonflement disproportionné des dépenses sociales et une insuffisante détermination dans le soin des équipements publics. Et comme l’Ostpolitik déraille aujourd’hui, son bilan n’est pas si glorieux qu’on pouvait croire. Sic transit

Ce n’est pas son successeur, apparemment, qui va aisément redresser les choses. On dit qu’il est trop faible; ce qui est certain, c’est que la conduite de la coalition tripartite sortie des urnes s’apparente à la mission impossible, les Verts et les libéraux n’étant d’accord à peu près sur rien.

Si le tableau paraît donc sombre, il ne faut pas pour autant voir l’Allemagne au bord du gouffre. Elle conserve une industrie solide, et pas seulement dans l’automobile qui fait sa renommée. On y trouve de puissantes compagnies chimiques et pharmaceutiques; la Bavière bénéficie d’une industrie développée et vigoureuse; Hambourg est une ville dynamique aux ressources diversifiées; la place financière de Francfort n’est pas négligeable; on pourrait continuer l’énumération des pôles d’activités d’importance continentale; et les Allemands sont travailleurs. Mais les difficultés actuelles, semble-t-il, ne sont pas qu’un accident de parcours. La Suisse doit souhaiter que son principal partenaire commercial sache se reprendre.

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