Miettes freudiennes
Qu’est-ce qui ne va pas de nos jours? L’école, les hôpitaux, la politique. En 1925, ça n’allait pas mieux. Le psychanalyste Sigmund Freud écrit: Très tôt j’avais fait mienne la boutade des trois professions impossibles – à savoir éduquer, soigner, gouverner.
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Freud s’intéresse à son art, mais aussi à la philosophie et à la politique. A ses yeux, l’être humain n’est pas un être doux, ayant besoin d’amour et capable tout au plus de se défendre quand on l’attaque, mais il peut se targuer de compter au nombre de ses dons instinctifs une grosse part d’agressivité. Son prochain n’est pas seulement pour lui un aide éventuel et un objet sexuel, mais aussi une tentation de satisfaire sur lui son agressivité, d’exploiter sa force de travail sans dédommagement, d’user de lui sexuellement sans son consentement, de prendre possession de ses biens, de l’humilier, de lui causer des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus.
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Aime ton prochain (et tes ennemis) comme toi-même! Freud juge cette injonction inapplicable parce que contraire à la nature humaine. Il cite le poète Henri Heine: Je suis d’un caractère on ne peut plus pacifique. Mes désirs sont: une modeste maisonnette, un toit de chaume, mais un bon lit, de bons repas, du lait et du beurre, très frais, des fleurs devant la fenêtre, quelques beaux arbres devant la porte et, si le bon Dieu veut me rendre tout à fait heureux, il me fera connaître la joie de voir à ces arbres six ou sept de mes ennemis pendus. Le cœur attendri, je leur pardonnerai avant leur mort toutes les méchancetés qu’ils m’ont faites dans la vie. Oui, il faut pardonner à ses ennemis, mais pas avant qu’ils ne soient pendus.
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Selon un commentateur de Freud, la lutte contre les frustrations infligées par la société ne peut pas être le but principal du penseur politique ou de l’homme d’Etat intelligent, parce que cette répression sociale n’est qu’un moyen dans la lutte plus importante contre la pulsion de mort.
Le même commentateur ajoute en substance: la tendance à demander à la thérapie analytique une résolution, rapide si possible, des «problèmes» qui empêchent l’intégration harmonieuse de chacun dans la société, caractérisait pour Freud l’esprit américain, qu’il abhorrait. De nos jours toutes les thérapies que les grandes entreprises conseillent à leurs cadres répondent à un besoin social et ont de beaux jours devant elles. Elles refusent la figure désormais crépusculaire de la psychanalyse au nom de l’efficience et de l’optimisme, disent-elles, mais sans doute plutôt du fait d’une insoutenable angoisse devant la description d’une âme humaine envahie par la pulsion de mort.
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En 1927, Freud est encore prudent face au communisme russe: Je suis loin de vouloir juger la grande expérience culturelle engagée présentement dans le vaste pays situé entre l’Europe et l’Asie. Je n’ai ni la compétence ni la capacité de décider si elle est réalisable, d’éprouver si les méthodes employées sont appropriées, ou de mesurer l’inévitable fossé qui sépare intention et exécution.
Pourtant en 1919 déjà, Freud confiait à son ami Ernest Jones qu’il avait rencontré un ardent communiste l’ayant converti au bolchevisme, à moitié. Le communiste en question lui avait dit que l’avènement du bolchevisme amènerait quelques années de misère et de chaos, mais que la paix universelle, la prospérité et le bonheur suivraient. Freud ajouta: Je lui ai répondu que je croyais à la première partie de ce programme.
Freud n’est pas, on le voit, un utopiste. Il écrit en 1930: Ce ne fut pas un incompréhensible hasard que le rêve d’une hégémonie germanique fasse appel au complément de l’antisémitisme, et l’on conçoit que la tentative d’instaurer en Russie une nouvelle civilisation communiste trouve à s’appuyer sur la persécution des bourgeois. On se demande avec inquiétude ce que pourront bien entreprendre les soviets lorsqu’ils auront exterminé leurs bourgeois.
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Juif, Freud avait tout à craindre des nazis. De même que Jung voulait secourir son père peu à l’aise dans son rôle de pasteur, Freud aurait souhaité soulager le sien, humilié par ses déboires financiers et les persécutions subies en Moravie à la fin du XIXe siècle. Le père de Freud raconta à son fils l’histoire suivante: Un samedi, il sort dans la rue bien habillé avec un bonnet de fourrure tout neuf. Un chrétien survient et envoie d’un coup le bonnet dans la boue en criant: Descends de ce trottoir, Juif! Qu’est-ce que tu as fait? Tu as réagi? demanda Sigmund. J’ai ramassé mon bonnet, répondit le père.
Les quatre sœurs de Freud moururent en déportation.
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Dans la cité freudienne, le chef, garant de la civilisation, doit manifester son autorité. Il est jugé sur ses actes. Aussi, en 1933, Freud envoie-t-il son petit livre intitulé Pourquoi la guerre? à… Mussolini, avec cette dédicace: De la part d’un vieil homme qui salue dans le dirigeant le héros de la culture.
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En 1938, après l’Anschluss, Freud reçoit l’autorisation de partir pour l’Angleterre à condition de signer un document émis par la Gestapo où il déclare ne pas avoir été maltraité. Sous sa signature, Freud ironise: Je puis recommander la Gestapo à toute personne bien élevée.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Double majorité pour les bilatérales III – Editorial, Félicien Monnier
- Conférence des gouvernements cantonaux: comme une sorte de Diète – Félicien Monnier
- O fortunatos agricolas! – Frédéric Monnier
- L’automation, l’emploi, l’efficience – Jean-François Cavin
- Généraliser l’imposition à la source: une idée néfaste – Jean-Hugues Busslinger
- Sur les chemins noirs – Olivier Delacrétaz
- Souveraineté à la carte – Benoît de Mestral
- Occident express 120 – David Laufer
- Moins de fripons, plus d’écussons – Le Coin du Ronchon