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† Pierre-Yves Favez

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2249 22 mars 2024

Pierre-Yves Favez est décédé il y a quelques jours à l’âge de septante-six ans. L’avis mortuaire citait le verset 20 du chapitre 2 de l’épître aux Galates: Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi.

Il y a fort longtemps, nous l’avions reçu à un des Entretiens du mercredi en tant que responsable du Cercle vaudois de généalogie. Il avait captivé l’assemblée en décrivant ses expéditions de chasseur de trésors dans les galetas des cures vaudoises, à la recherche de papiers de famille et d’actes notariaux. On se l’imaginait sans peine, peint par Daumier, ou mieux, par Spitzweg, courbé sur des coffres à peine éclairés par une lucarne décorée de toiles d’araignées, souriant de contentement dans un nuage de poussière dorée et d’acariens.

Au fil des ans, son engagement archivistique opiniâtre, la passion tranquille qu’il y mettait jour après jour en avaient fait, aux yeux de tous, une cristallisation de l’idée platonicienne de l’archiviste. Archiviste, il l’était jusque dans sa barbe profuse et tourmentée, jusque dans son appartement où le sol et le mobilier, chaises incluses, disparaissaient sous les dossiers.

Il approchait la réalité non à travers un système d’idées, mais en accumulant, jour après jour, la connaissance des détails, et des détails de ces détails, à partir desquels il reconstituait l’ensemble. Quand on faisait allusion à tel petit fait saillant de l’histoire vaudoise, il montrait gentiment que c’était, comme dit le politicien face à une question trop pertinente, «plus compliqué que cela». On comprenait alors que chaque fait est enserré dans les ramifications infinies des autres faits, dont l’historien n’en finit pas de débroussailler les relations de causalité ou de coïncidence.

Contemplatif et médiéval, il travaillait hors du temps court et sans mémoire de la modernité. A vrai dire, le temps n’existait guère pour lui. Plongé dans ses papiers il oubliait les congés, les vacances, les heures ordinaires de travail. Il paraît qu’il oubliait parfois même les repas, au risque, vers la fin de sa vie professionnelle, de se trouver mal.

De l’enfant, il avait gardé la curiosité primesautière, la bonne volonté, la disponibilité et l’absence d’arrière-pensée. Au fil de sa vie, il avait acquis, outre une connaissance encyclopédique de l’histoire vaudoise, en particulier celle des familles, une légère distance face aux choses, qui se manifestait par un infime sourire et un regard légèrement malicieux. Ironie, peut-être, ou plus probablement signe d’humilité: «Ce que je dis est exact, objectif et confirmé, mais ce n’est jamais que moi qui le dis…»

Tous ceux qui ont collaboré avec lui se sont accordés à reconnaître sa droiture, son rayonnement intellectuel, sa rigueur professionnelle et sa courtoisie. Tel de ses anciens collaborateurs évoque avec affection des joutes à coups de citations d’Astérix, dont il était un fin connaisseur.

Depuis les années 1930, la validation des armoiries communales est confiée par l’Etat aux Archives cantonales vaudoises (ACV). Pierre-Yves Favez possédait au plus haut point l’esprit héraldique. Il y retrouvait son souci de la permanence et de l’histoire. Le vocabulaire du blason lui venait spontanément à la bouche. L’héraldique lui était une «seconde nature» selon Gilbert Coutaz, qui fut son camarade d’études et son chef aux ACV.

Dans sa passionnante étude Les armoiries vaudoises, du Moyen Age à nos jours, publié par la Revue historique vaudoise1, Pierre-Yves Favez consacre une page aux armoiries de la Ligue vaudoise que nos fondateurs envisageaient de substituer aux armoiries actuelles. De l’avis de Favez, qui ne s’occupait pas de politique, les armoiries de la Ligue vaudoise étaient «héraldiquement parfaites».

Depuis quelques années, les ACV subissent les bouleversements dus à l’archivage électronique et à la numérisation des documents. Les Archives sont désormais inscrites dans un réseau planétaire. Le client y vient sans se déplacer, à toute heure du jour et de la nuit. Les liens personnels s’étiolent. De ces changements, Pierre-Yves Favez fut un acteur «plus ou moins consentant» (Gilbert Coutaz). Pour autant, les compétences propres des archivistes subsistent. Les connaissances sur le contenu des fonds, la reprise inlassable des questionnements et des recoupements, la contextualisation d’archives échappent par nature au «clic informatique». Le souvenir de perfection professionnelle que laisse Pierre-Yves Favez garde ainsi tout son sens.

Notes:

1   RHV, tome 111, 2003, pp. 9-37. Cette étude fut reprise par les Archives héraldiques suisses de la même année, N° 117, deuxième cahier, pp. 99-122. On peut la consulter gratuitement sur internet.

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