Il est interdit de ne pas interdire
Notre monde se divise aujourd’hui entre le monde libre (ici) et le monde pas libre (là-bas). Le concept de liberté n’étant pas toujours facile à saisir, nous pouvons l’illustrer à travers deux exemples récents.
Dans le Canton de Berne, une députée socialiste a demandé d’interdire les concours de tracteurs. Elle estime que «ces manifestations appartiennent à une époque révolue et polluent inutilement les sols». Elle aurait pu ajouter que, d’une manière générale, l’agriculture c’est mal parce que ça pollue et ça abîme la terre. (Et surtout ça consacre l’intolérable présence de l’être humain dans la nature, alors que ce dernier est plutôt fait pour vivre dans des écoquartiers comme celui des Plaines-du-Loup à Lausanne.) Et puis, les paysans sont payés pour remplir des formulaires de demande de paiements directs, pas pour s’amuser! Le divertissement, surtout s’il est bruyant, est réservé aux minorités urbaines qui expriment la diversité; ce n’est pas pour des ruraux dont le mode de vie est d’un autre âge (et qui votent rarement socialiste). Où va-t-on si on les laisse s’amuser avec leurs vilaines machines polluantes?
Pendant ce temps, à Lausanne, le Conseil communal a accepté par 50 voix contre 16 un postulat écologiste visant à quasiment interdire la construction de piscines privées. L’initiateur de cette brillante idée, qui se trouve être aussi «co-président des Jeunes Vert-e-s suisse» (sic; à force de martyriser la terminaison des mots, ils en oublient les accords les plus élémentaires), dénonce «une aberration écologique», dès lors qu’il existe des piscines publiques et un lac au sud de la ville. (Nous ignorons si les logements de l’écoquartier des Plaines-du-Loup possèdent des salles de bains, ou si les habitants sont priés d’économiser le précieux liquide en allant faire leurs ablutions aux points d’eau publics.)
Nous comprenons ainsi que le monde libre est un monde où il est nécessaire d’interdire presque tout (notamment les concours de tracteurs et les piscines privées, mais aussi beaucoup d’autres choses, des aliments, des modes de transport, des idées, etc.); en contrepartie, n’importe quel nigaud est libre de publier des commentaires stupides sur les réseaux sociaux, et les politiciens élus par ces mêmes nigauds sont extrêmement libres de limiter la liberté de leurs concitoyens.
En raison de la place limitée qui nous est impartie, nous nous abstenons délibérément de toute comparaison avec le monde pas libre.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Désordres à l’Université de Lausanne – Editorial, Félicien Monnier
- Balade héraldique en pays de Vaud – Jean-Blaise Rochat
- Drogues à Lausanne: on n’arrête pas le progrès – Lionel Hort
- 10 + 4 – Jean-François Cavin
- Occident express 121 – David Laufer
- † Pierre-Yves Favez – Olivier Delacrétaz
- Pauvreté et précarité: quelle évolution récente dans le Canton de Vaud – Sébastien Mercier
- Consommer local ou national? – Benjamin Ansermet
- Un casse-cou – Jacques Perrin