10 + 4
«De mon temps», comme disent les vieux rabâcheurs, le gymnase durait deux ans, plus un trimestre d’été allégé où l’on préparait le bachot et profitait des beaux jours. Tacite et Platon ne sont pas devenus plus difficiles à lire, ni les fonctions mathématiques plus ardues à comprendre. Et pourtant les pédants, après avoir poussé la durée des études gymnasiales à trois ans, en veulent maintenant quatre. La Confédération, qui règle l’accès aux écoles polytechniques et aux études de médecine, prétend avoir la compétence de fixer cette durée et la Conférence des départements cantonaux de l’instruction publique lui emboîte le pas. La prolongation permettrait de développer l’acquisition de «compétences transversales»; on frémit à l’idée des «espaces» dévolus au développement de la créativité de nos ados, à leur sensibilisation aux «enjeux sociétaux» et aux besoins de la «durabilité».
Pour le Canton de Vaud, une année supplémentaire de formation gymnasiale aurait de lourdes conséquences: construction de nouveaux bâtiments (alors qu’il peine déjà à répondre aux besoins actuels), engagement de nombreux professeurs supplémentaires (en trouvera-t-on assez ayant l’envergure requise?), explosion des dépenses. Mais une solution plus simple reste possible: convertir la dernière année de scolarité obligatoire en année gymnasiale pour les élèves visant une formation académique, comme le font certains cantons, au prix d’une adaptation des programmes; c’est, avec dix années de scolarité antérieure et quatre ans de gymnase, le modèle «10+4».
Les associations d’enseignants n’en veulent pas, car le système serait à leurs yeux trop sélectif. Le Conseil d’Etat, dont la devise louvoyante, en maints domaines, semble être «de tout un peu», entend donc ménager la chèvre et le chou. Il opte pour le modèle 10 + 4 à l’intention des élèves les meilleurs, en offrant le modèle 11 + 4 aux autres. Mais cette solution est un leurre: l’expérience d’autres cantons montre que seule une petite minorité prend la voie rapide.
Il convient de traiter la question dans un contexte plus large. Faut-il retarder continuellement l’entrée dans la vie active? Les études universitaires se prolongent aussi; et nos jeunes gens, profitant de la prospérité ambiante, s’offrent volontiers une «année sabbatique» pendant leur parcours de formation. Or le pays manque de main-d’œuvre: au boulot sans trop attendre!
En optant pour le modèle 10 + 4 exclusivement, relativement exigeant, le Canton mettrait aussi fin à une anomalie. Aujourd’hui, sous l’effet de réformes scolaires mal ajustées et de l’air du temps, le taux vaudois de scolarisation gymnasiale est de 32,5% – l’un des plus hauts de Suisse – alors que la moyenne helvétique est de 22,6%. Beaucoup n’obtiendront pas un titre universitaire. Et les métiers pratiques de l’artisanat, du commerce et de l’industrie sont à court de personnel. Notre politique devrait prioritairement remédier à ce déséquilibre.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Désordres à l’Université de Lausanne – Editorial, Félicien Monnier
- Balade héraldique en pays de Vaud – Jean-Blaise Rochat
- Drogues à Lausanne: on n’arrête pas le progrès – Lionel Hort
- Occident express 121 – David Laufer
- † Pierre-Yves Favez – Olivier Delacrétaz
- Pauvreté et précarité: quelle évolution récente dans le Canton de Vaud – Sébastien Mercier
- Consommer local ou national? – Benjamin Ansermet
- Un casse-cou – Jacques Perrin
- Il est interdit de ne pas interdire – Le Coin du Ronchon