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L’école vaudoise a-t-elle le droit d’échouer une nouvelle fois?

Benoît Meister
La Nation n° 1884 12 mars 2010
La période de consultation de l’avant-projet de réforme de la loi sur l’enseignement obligatoire prend fin aujourd’hui même. Le projet définitif s’opposera à l’initiative «Ecole 2010 – Sauvez l’école!» lancée en 2007 par des enseignants et des parents d’élèves. A la fin de cette année ou au début de la prochaine, nous voterons pour l’un ou l’autre projet.

Pendant ces quatre mois de consultation, Anne-Catherine Lyon et ses subordonnés ont fait une tournée de présentation de la nouvelle loi auprès de tous les enseignants vaudois de l’école obligatoire. Il y a quelques semaines de cela, nous apprenions par 24 heures que la responsable du Département avait été «huée» lors d’une de ces séances de présentation à Vevey; derrière le gros titre, peu de choses en vérité: l’exposé de l’avant-projet a eu lieu comme prévu. Bien plus intéressant est le commentaire de la conseillère d’Etat à la suite de ce menu accrochage: «C’est un incident isolé. Ces séances se passent bien. J’aime sentir la salle réagir, chercher le meilleur chemin pour l’Ecole vaudoise.» Bel exemple de manipulation: des désaccords peuvent avoir lieu, de légers affrontements, mais ne sommes-nous pas tous ensemble unis dans la recherche du «meilleur chemin pour l’Ecole vaudoise»? N’allons-nous pas faire oeuvre commune au-delà des divergences?… Eh bien non! Pour montrer que l’entier de cet avant-projet mérite d’être combattu, quelques coups de sonde suffiront pour l’heure.

La pédagogie différenciée

Dans la présentation générale de l’avant-projet, certaines formules résument assez bien les idées fondamentales de ses concepteurs: il s’agit pour ces derniers de viser des objectifs ambitieux mais néanmoins accessibles, ainsi que de fixer à la fois des objectifs d’égalité et d’excellence1. Autrement dit, l’excellence est accessible à tous; il suffit de savoir s’y prendre; l’Ecole vaudoise, jusqu’à aujourd’hui, a passé à côté de son sujet. Sous les voeux pieux et apparemment généreux, les réformateurs montrent très peu de respect et d’égards pour les générations de maîtres qui ont formé les jeunes Vaudois. D’EVM même, des changements que cette dernière réforme a apportés, il n’est pas question. Il n’est pas besoin de patienter longtemps pour s’apercevoir du caractère révolutionnaire de l’avant-projet.

A partir de là, deux réactions sont possibles. La première consisterait à dire que, malgré le peu de sérieux de cette entrée en matière, qui devrait se présenter sous la forme d’un bilan et d’une critique précise, branche après branche, de la dernière réforme, il faut retenir les bonnes idées qui seront énoncées par la suite. La seconde réaction, qui est la nôtre, consiste à penser que les idées maîtresses du projet seront à l’avenant de cette introduction peu consistante.

Supprimer les filières, et le redoublement: telles sont les idées maîtresses défendues dans la nouvelle loi. N’entrons pas dans le détail des variantes proposées à leur sujet, puisqu’elles n’ont pas la préférence des concepteurs. Selon ceux-ci, les trois filières actuelles reposent sur un système inégalitaire aujourd’hui caduc: il ne serait plus vrai qu’il y a, scolairement parlant, des bons élèves, des élèves moyens et d’autres faibles. Il faut donc cesser d’enclasser les élèves selon leurs niveaux et adopter désormais des mesures inclusives: Les mesures inclusives sont celles qui favorisent la proximité de tous les élèves, par opposition aux mesures séparatives représentées par les classes, les filières ou les écoles particulières2. Il n’y aurait plus de classes particulières dans la nouvelle Ecole vaudoise, mais des élèves ayant des besoins particuliers3.

Ces élèves ayant des besoins particuliers ne sont pas seulement les élèves qui rencontrent des difficultés scolaires mais aussi les élèves allophones, les élèves atteints de troubles du comportement, ainsi que les handicapés. Mettez tous ces élèves dans une même classe; faites intervenir ponctuellement des enseignants spécialisés aux côtés de l’enseignant principal pour subvenir aux besoins particuliers de ces élèves et combler le retard qu’ils ont sur leurs camarades. Vous obtenez ainsi une classe où les élèves sont égaux et vivent en parfaite intelligence, cette composition idéale d’égalité et d’excellence que l’on nous annonçait plus haut. Voilà la recette, à peine simplifiée, que nous proposent les auteurs de l’avant-projet. Elle a pour nom: la pédagogie différenciée4.

Il ressort du chapitre consacré à la pédagogie différenciée une véritable phobie des différences comprises comme des inégalités: il faudrait, nous dit-on, varier autant que possible les modalités de regroupements [des élèves ayant des besoins particuliers] afin d’éviter toute stigmatisation5. Surtout, les inégalités qui existent et qui continueront d’exister entre les élèves normaux dans l’apprentissage et la maîtrise des matières scolaires, ainsi que les inégalités, plus importantes encore, entre les enfants normaux et les enfants handicapés sont considérablement sous-estimées par les réformateurs. Elles apparaissent ici comme de légers maux, des défauts provisoires auxquels des interventions ponctuelles, chirurgicales, de spécialistes permettraient de remédier.

Il faudrait d’abord se demander si les inégalités entre les élèves en matière scolaire doivent être considérées comme des maux; ensuite, si un tel discours peut être sérieusement tenu face à l’évidence et à l’expérience auxquelles tout enseignant est confronté dans son métier: les élèves ne sont pas doués de capacités scolaires égales. Les réformateurs semblent avoir oublié que l’intelligence et le savoir humains ne s’exercent pas uniquement en français et en mathématiques.

A la place des filières, les niveaux

Dans une telle conception pédagogique, que viennent faire les niveaux6? L’avant-projet prévoit en effet de remplacer les trois filières par deux niveaux, standard et élevé, dans certaines branches. A partir de la 7e année, les élèves seraient répartis sur ces deux niveaux en français et mathématiques, puis, à partir de la 8e, également en allemand et en sciences. Ne retrouvons-nous pas ici les classes et une hiérarchie entre les élèves que l’on voulait éviter à tous prix lorsqu’il était question de pédagogie différenciée? L’incohérence est flagrante. La contradiction apparaît d’ailleurs noir sur blanc dans le chapitre concerné: Dans le système à niveaux, les élèves accomplissent les 9e, 10e et 11e [actuellement 7e, 8e et 9e] années ensemble. Ils sont répartis en niveaux d’abord pour 2 disciplines, puis pour 47. Il est donc possible pour les élèves, selon la logique curieuse des réformateurs, d’être à la fois ensemble et répartis en niveaux dans quatre branches.

Relevons encore la répartition purement arbitraire dans ces niveaux: à la fin de l’actuelle 6e année, le conseil de direction répartit l’ensemble des élèves au degré secondaire à égalité dans les niveaux standard et élevé en fonction des résultats obtenus8. Pourquoi à égalité? Cette répartition initiale serait valable pour trois mois: A l’issue de ces trois mois, le conseil de direction corrige cette répartition sur la base des résultats obtenus durant cette période. La 5e et la 6e ne suffisent donc pas pour sélectionner les élèves; il faut y ajouter trois mois. Ces corrections ne peuvent toutefois intervenir que pour le passage d’un niveau standard à un niveau élevé. On pose donc a priori qu’il n’est possible de se tromper que dans un sens. Il n’est pas risqué d’affirmer que cette sélection en niveaux ne tiendra pas longtemps dans un tel système.

Suppression du redoublement

L’idée de supprimer le redoublement découle tout droit de la pédagogie différenciée. Les élèves qui n’ont pas le nombre de points suffisants pour passer l’année recevront des mesures d’aide ou d’appui ciblées pour combler leurs lacunes, mesures qui – cela semble être une évidence dans l’esprit des réformateurs – doivent suffire. Les évaluations pendant toute la durée du degré secondaire ont ainsi une valeur purement formative et indicative. L’échec est seulement temporaire. On aurait manqué de patience et de finesse de jugement envers les élèves en difficulté jusqu’à présent en les faisant grossièrement redoubler une année scolaire.

Soit donc l’élève lambda dont les notes sont insuffisantes en 7e année; il passe en 8e; malgré les mesures d’appui qui sont prises à son égard, ses résultats sont toujours insuffisants; il passe en 9e année, se trouve alors au bénéfice de mesures d’appui renforcées. (On suppose, dans un tel raisonnement, qu’on dispose de tous les moyens envisagés dans l’avant-projet pour s’occuper de tels élèves en difficulté.) A la fin de la 9e année, il échoue aux examens de certificat. Redoublera-t-il enfin? Non! il fera une 10e année – 12e année dans l’avant-projet – qui, enfin, lui permettra d’obtenir le certificat d’études. Il n’est pas précisé si l’élève en question devra repasser l’examen de certificat avec ses plus jeunes camarades – d’où, malgré tout, redoublement de l’élève – ou si l’année supplémentaire lui donne automatiquement droit au certificat. Cette 12e année, précise-t-on en revanche, n’est pas un simple redoublement de la 11e année de scolarité. [Elle] vise à combler les principales lacunes et à assurer les bases utiles à la formation professionnelle9.

A quoi donc servait le redoublement auparavant?

Une noble idée?

Point de critiques sérieuses et détaillées de la précédente réforme qui justifieraient que l’on s’attelle au travail titanesque que représente la mise en place d’une nouvelle réforme, négation de certaines données élémentaires de l’expérience de l’enseignant, incohérences, refus horrifié et absurde du redoublement, jusqu’au terme lui-même: voilà qui est amplement suffisant pour rejeter l’avant-projet qui nous a été soumis.

On objectera peut-être: mais la noble idée de réunir les élèves dans un même lieu? mais la belle idée de justice, qui enveloppe celle de l’égalité entre les enfants? Et ne prépare-t-on pas par là la paix sociale entre ces futurs adultes? Nous pensons également que la paix, la concorde entre les membres d’une même communauté est la finalité de la politique, à la réalisation de laquelle l’instruction participe. Mais nous croyons que la négation des inégalités scolaires entre les élèves n’amènera que discordes et injustices.

 

NOTES:

1) Message de la cheffe du Département, p. 2, pour la première citation; «Informations générales», p. 5, pour la seconde.

2) Commentaire de l’art. 98, p. 34.

3) Art. 98, alinéa 2.

4) Chapitre 9.

5) Commentaire de l’art. 100.

6) Art. 75; de même pour la citation suivante.

7) Commentaire de l’art. 76.

8) Art. 78, alinéa 1; même article, alinéa 2, pour les deux citations suivantes.

9) Commentaire de l’art. 87.

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