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Mettre le futur avant le genre

Cédric Cossy
La Nation n° 1929 2 décembre 2011
En 2001, le Bureau fédéral de l’égalité choisit le second jeudi de novembre pour organiser la première «journée des filles». Le but était d’offrir aux jeunes demoiselles l’occasion de suivre leur père pour découvrir des métiers traditionnellement masculins et susciter des vocations chez elles. Les plus puristes défenseurs de l’égalité ne tardèrent pas à s’indigner, puisque les garçons étaient privés de la découverte des métiers habituellement féminins. Dès 2005, la journée s’adressa donc aux deux sexes et se renomma «Journée osez tous les métiers» (JOM). La raison pour laquelle treize cantons et demis cantons – Vaud y compris, mais pas le Valais – ont choisi dès cette année de rebaptiser cette journée «Futur en tous genres» échappe toutefois à l’auteur de ces lignes. Le 10 novembre dernier, les préados de la Romandie et au-delà étaient donc invités par leurs Bureaux de l’égalité respectifs à accompagner le temps d’une journée leur parent du sexe opposé, à défaut un oncle, une marraine ou un autre proche, sur leur lieu de travail.

Le Bureau de l’égalité vaudois montre le plus grand zèle dans l’application du concept. Alors que, dans tous les autres cantons romands, l’action s’adresse aux élèves d’une seule année scolaire, les petits Vaudois ont, de la cinquième à la septième, trois occasions d’y participer. L’application est toutefois interprétée de manière très variable selon le lieu: certains établissements scolaires se sont contentés d’enregistrer les demandes de participation des enfants; les cours y ont été donnés normalement, avec quelques bancs vides dans les classes. Ailleurs, les enfants ont été soumis à une publicité intensive, les incitant à trouver à tout prix quelqu’un à accompagner; les quelques enfants n’ayant pas fourni de proposition crédible ont obtenu congé.

L’organisation vaudoise pose de nombreux problèmes: les enfants ayant généralement deux parents, il est difficile pour ceux-ci d’organiser trois stages sur trois années consécutives. Il est parfois déjà difficile d’en organiser un seul: tous les employeurs ne se prêtent pas au jeu, craignant les dérangements provoqués par ces jeunes hôtes ou pour la sécurité de ceux-ci. Le suivi de toutes les professions n’est d’autre part pas forcément admis par les enseignants: le fils d’une serveuse de bar s’est vu interdire d’accompagner sa maman lors de son travail du soir; même refus à l’encontre de celui qui souhaitait aider sa maman femme au foyer1. On peut aussi s’interroger sur l’intérêt de certains stages: qu’a bien pu découvrir cet autre élève en suivant sa maman enseignante? Enfin, quels sentiments un chômeur et ses enfants peuvent-ils ressentir lors d’un tel événement?

Dans l’ensemble, le déroulement de cette journée crée du désordre dans les classes, dans les familles et dans les entreprises qui accueillent les enfants. La grande majorité de ceux-ci, à la fin de la journée, déclarent ne pas vouloir faire le même métier que papa ou maman. La question de la pertinence de la formule se pose, particulièrement en regard des objectifs égalitaires de l’initiative.

La journée garde le mérite de sortir les enfants de leur cocon scolaire et de les mettre en contact avec le monde du travail. C’est ce qu’ont compris certaines entreprises, qui organisent à cette occasion de véritables événements de relations publiques pour les enfants de leurs collaborateurs. Plus que la découverte des tâches effectuées par le papa ou la maman, c’est la transmission d’une image positive et attractive de l’entreprise et de ses corps de métiers qui compte.

Il suffit de penser aux femmes maçons, éboueurs ou débardeurs de l’ex-Union soviétique pour ne pas forcément applaudir à la promotion de l’égalité des sexes dans le monde professionnel. Il est par contre très heureux que les élèves aient l’occasion de découvrir le monde du travail et ses contraintes avant la neuvième année et ses choix d’avenir. L’approche égalitaire de «Futur en tous genres» est trop limitante: plutôt que d’inciter l’élève à suivre son géniteur du sexe opposé dans une activité qui ne l’intéresse pas forcément, il serait préférable de lui offrir la possibilité de partager la journée de n’importe quel professionnel – proche ou non – dont le métier l’intéresse. Plus qu’aux Bureaux de l’égalité, c’est au SECO et aux départements cantonaux de l’économie d’organiser une telle journée.

Femina du 9 janvier 2011 demandait: «Faut-il supprimer les bureaux de l’égalité?» L’exemple de «Futur en tous genres» et ses limitations dogmatiques pousse à répondre différemment que ne l’a fait l’hebdomadaire dominical.

 

NOTES:

1 C’est pourtant bien ce qui est finalement arrivé dans ce cas: comme il n’a pas trouvé d’autre proposition, on lui a donné congé.

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