Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Pressés d’en finir

Jacques Perrin
La Nation n° 2001 19 septembre 2014

Dans Le Temps du vendredi 22 août, Mme Marie-Hélène Miauton énumère les sujets d’inquiétude: la crise ukrainienne, le conflit israélo-palestinien, le califat en Irak et en Syrie, le virus Ebola, les difficultés économiques… La situation internationale est en effet préoccupante, il faut se préparer à faire face, des plaques tectoniques sont en train de glisser.

Il existe une autre plaie infectée depuis longtemps dont on préfère ne pas parler parce que la cause semble entendue: il s’agit de la question démographique. L’initiative Ecopop, malgré ses nombreux défauts, permettra peut-être de l’aborder.

La population du monde croît, mais celle de l’Europe chuterait fortement si des vagues d’immigration ne venaient compenser les pertes. Voyons les chiffres. Nous les avons puisés à diverses sources qui divergent peu, notamment sur le World Factbook 2013 de la CIA.

224 pays sont classés d’après leur indice de fécondité. Rappelons qu’il faut 2,1 enfants par femme pour que la population se maintienne, 111 pays remplissent ou dépassent cette exigence. Le Niger est en tête avec 7,05 enfants par femme, tandis que Singapour (0,79) ferme la marche. La France (2,08), les Etats-Unis (2,06) et l’Irlande (2,01) approchent le seuil. La Suisse (1,53, en légère hausse) se classe au 187e rang. Parmi les derniers, on trouve l’Allemagne (1,42), l’Italie (1,41), le Japon (1,39), l’Ukraine (1,29), la Bosnie (1,25). La Russie, dont l’indice de fécondité a longtemps été catastrophique, remonte la pente (1,61).

Que constate-t-on? Les vaincus de la Seconde Guerre mondiale sont au plus bas, de même que les «terres de sang» de l’Est européen, y compris la Pologne et la Hongrie catholiques, dont nous parlions dans un précédent article. Les malheurs et les défaites, puis le désir de s’enrichir rapidement au prix de l’anarchie sociale, ont découragé la procréation. A cet égard, les années nonante furent pour la Russie parmi les plus dures de son histoire, comme le montra Soljenitsyne dans La Russie sous l’avalanche (1998).

La dénatalité signale la dépression de tout un peuple et l’approfondit. Personne n’a l’air de s’en soucier beaucoup. Les partisans d’Ecopop sont malthusiens. Ils se réjouissent que les hommes n’encombrent pas trop la nature. Les plantes, les animaux, voire les minéraux comptent davantage. Ils envisagent aussi de limiter l’immigration, ce que l’on peut comprendre, et d’étendre les bienfaits supposés du malthusianisme aux pays du tiers monde où 10 % de l’aide suisse au développement devrait contribuer à limiter les naissances.

Que répondent les adversaires de l’initiative? Le taux de fécondité des Suissesses ne les chagrine pas outre mesure et ils s’en accommodent sans peine. Dans une logorrhée impérieuse et satisfaite dont il a le secret, le conseiller national socialiste Roger Nordmann admet le faible taux de fécondité en Suisse tout en exigeant plus d’immigrés qui «s’occuperont de nos vieux dans les EMS». Le lobby des villes suisses veut des «mesures» en faveur des citoyens âgés «toujours plus nombreux». Tous s’accordent sur le fait qu’en 2050 la Suisse ne sera habitée que par des indigènes cacochymes et de fringants jeunes immigrés. C’est comme ça. On n’y peut rien. Les Suisses vont tous disparaître, ils sont déjà morts. Ce fatalisme qui se transforme en jubilation chez certains laisse pour le moins songeur.

Nous cherchons les causes du déclin démographique et aucune ne nous convainc vraiment. Les biologistes parlent des pesticides qui nuisent à la qualité du sperme. Les psychologues disent que l’idolâtrie de l’enfant a viré au dégoût de la procréation à cause des soucis qu’ils amènent: ils coûtent cher, ils deviendront des enfants-rois, ils polluent, ils gênent les carrières professionnelles, ils empêchent les femmes de se «réaliser», on ne peut les condamner «à vivre dans un monde toujours plus dur».

Les peuples sont des êtres vivants qui naissent, croissent, atteignent leur acmé et puis s’éteignent. On n’a que peu d’influence sur ce fait. Les politiques démographiques (natalistes ou antinatalistes) réussissent dans un premier temps, puis provoquent des effets imprévus. La Chine a imposé un enfant par femme, elle vient de changer de politique, tant il manque de filles.

Nous nous heurtons à un mystère. Pour engendrer, il suffit d’un peu d’insouciance, de confiance en soi et en l’avenir, voire de foi tout court et d’espérance. Ces belles vertus ne se décrètent pas, la vitalité non plus.

Néanmoins, il est bon de combattre ceux qui, pressés d’en finir, se réjouissent (inconsciemment?) de notre mort collective. Si nous nous battons pour notre Pays, que nous en valorisons l’histoire, les beautés, la paix, l’abondance, c’est pour rendre confiance à ceux qui l’ont perdue, pour vivifier leur âme, car elle semble se vider quand leur corps se remplit.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: