Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Par la guerre à la cohésion nationale

Ernest Jomini
La Nation n° 2001 19 septembre 2014

Nous ne l’apprenons qu’aujourd’hui grâce à un article de M. Arthur Vogel dans le Nouvelliste du 28 août: la cohésion nationale suisse a failli éclater il y a quinze ans. Zurich venait de décider qu’on enseignerait l’anglais avant le français. Déjà le chœur des pleureuses s’était fait entendre pour déclarer que la «cohésion nationale» était en péril. M. Vogel, alors journaliste à Zurich, avait écrit aux ministres de l’Instruction publique des cantons romands pour leur demander une interview en allemand. Résultat: la Genevoise Brunschwig Graf et la Vaudoise Jeanprêtre parlaient très bien cette langue. Le Fribourgeois se débrouillait péniblement. Quant aux Jurassien, Neuchâtelois et Valaisan, ils reconnaissaient leur ignorance complète. M. Vogel avait donc conclu son article par ces mots: «La cohésion de notre nation est en danger imminent, car deux tiers des ministres de l’Education des cantons romands ne parlent guère l’allemand. » On l’a échappé belle.

A lire dans 24 heures du 28 août l’interview de la conseillère nationale thurgovienne Verena Herzog, à écouter lors de l’émission télévisée Infrarouge le ministre nidwaldien en charge de l’instruction publique – tous deux parlent notre langue –, on se rend compte qu’il n’y a aucune intention belliqueuse dans ces cantons qui estiment, pour des raisons pédagogiques, que l’enseignement du français sera mieux adapté aux élèves du degré secondaire. Le conseiller national vaudois Fathi Derder tenta lui aussi au cours de cette émission de tenir des propos raisonnables, mais le meneur de jeu lui coupait systématiquement la parole. Par contre, le conseiller national socialiste valaisan Reynard put, sans se faire interrompre, réclamer l’intervention fédérale contre les cantons récalcitrants.

Les Romands qui s’excitent tombent dans le panneau tendu par les maîtres à penser socialistes. Même nos amis du Jura Libre ne semblent pas percevoir combien cette campagne menace la souveraineté cantonale. Quant au conseiller fédéral Berset, il joue périodiquement le rôle du dompteur qui fait claquer son fouet pour rappeler aux animaux rétifs qui commande ici et menacer les cantons récalcitrants.

Thurgovie et Nidwald devraient être des exemples pour toute la Suisse. Enfin on aborde les problèmes scolaires en se souciant en premier du bien des enfants et de leurs capacités, en prenant l’avis des parents et des enseignants. Ajoutons qu’Uri vient de décider qu’un certain nombre d’élèves en difficultés scolaires seront dispensés de suivre les cours de français.

Utiliser l’école pour créer la «cohésion nationale»? Citons l’article du conseiller national vaudois Jacques Neyrinck («La contrainte n’instaurera pas la paix linguistique», 24 heures du 10 septembre):

[…] Le but de l’école obligatoire n’est pas de formater des citoyens, mais d’être au service de l’enfant, de lui donner des outils pour s’intégrer plus tard dans la vie. L’école ne peut pas devenir un enjeu de la politique politicienne […]. La Constitution a sagement disposé que l’enseignement obligatoire relève de la compétence des Cantons pour éviter les querelles du passé. C’est cette autonomie qui est garante de la cohésion nationale, parce qu’aucun pouvoir central ne peut exercer un impérialisme culturel. Que dirait- on si Berne imposait l’enseignement du dialecte aux cantons latins? […]

Quant au professeur Knüsel de l’Université de Lausanne (24 heures du 26 août: «La guerre des langues n’aura pas lieu»), il relève que le principe essentiel sur lequel repose la paix des langues n’est pas le plurilinguisme, mais la territorialité des langues. […] Les vrais enjeux résident dans les lieux de confrontation que sont les institutions fédérales. Là, le plurilinguisme constitue une nécessité absolue. Elus et membres de l’administration doivent pouvoir utiliser et faire valoir leur propre langue. […]

On n’entend guère le dompteur Berset concernant la place laissée au français et à l’italien dans l’administration fédérale. Pas plus qu’on ne l’a entendu sur l’offre d’un marché de 100 millions nur auf deutsch émise par les CFF, offre qui a provoqué l’intervention indignée et justifiée de membres du gouvernement vaudois.

Dans cette controverse, on ne saurait oublier l’avis de M. Patrick Aebischer, président de l’EPFL (citation ATS de La Liberté du 29 août):

[…] Que cela nous plaise ou non: l’anglais est devenu la cinquième langue nationale. Si nous la maîtrisons, nous pouvons mieux communiquer entre nous et nous pouvons donner à la Suisse un atout extraordinaire pour son développement socio-économique dans un monde de plus en plus globalisé […]

Autrement dit: les cantons romands qui enseignent d’abord l’allemand font tout faux et les Romands se trouveront une fois de plus en état d’infériorité face aux jeunes de Suisse orientale qui apprennent d’abord l’anglais. C’est un fait: l’anglais s’impose comme nouvelle «koïnè» dans le monde. Peut-être dans quelques années les soumissions des CFF (ou des Swiss Federal Railways) se feront- elles en anglais et chacun y trouvera son compte. Cela ne fera pas disparaître pour autant le français, l’allemand ou l’italien, ni même le romanche.

Pour clore cette petite chronique d’une guerre qui n’en est pas une, mentionnons le vote le 12 septembre par le Grand Conseil fribourgeois unanime, entraîné par un socialiste (ce sont toujours eux qui mènent le bal) et par un PDC, d’une résolution adressée à la Conférence des directeurs de l’Instruction publique (CDIP) – ce qui est légitime – et au Conseil fédéral – ce qui est une stupidité politique: un canton demande à la Confédération de limiter la souveraineté cantonale! Tout ça parce que certains enfants apprendront la français à 13 ans au lieu de 11 ans.

C’est parfaitement ridicule!

 

P.S. Aurons-nous la guerre du smartphone ? Prenant le contre-pied d’une brochure émise par l’administration fédérale, l’Ecole vaudoise ne veut pas autoriser les smartphones en classe à des fins pédagogiques. Cette décision vaudoise, opposée aux directives fédérales et à l’usage dans d’autres cantons, met-elle en danger la «cohésion nationale»? 

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: