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Lien maternel naturel

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2020 12 juin 2015

Le 11 mai dernier, Libération reprenait en tribune un appel international intitulé «Pour l’arrêt immédiat de la gestation pour autrui»1. Il concernait ces femmes qui portent un enfant pour des tiers, généralement contre rémunération. Quelques-unes le font pour rendre service à une amie. La presse a mentionné le cas d’une mère portant l’enfant de sa fille. A la naissance, la «mère porteuse» abandonne l’enfant à ses parents officiels, touche son salaire et disparaît.

Les auteurs de l’appel, principalement des femmes, énumèrent les risques médicaux encourus tant par l’enfant que par la mère provisoire. Ils soulignent que cette dernière ne porte l’enfant d’une autre que contrainte par la pauvreté, ce qui constitue un abus de pouvoir de la part du couple client. Ils jugent que la GPA rémunérée est une forme de trafic de personnes humaines, une marchandisation de la femme et de l’enfant.

L’appel affirme en conclusion que «personne n’a droit à un enfant, pas plus les hétérosexuels que les homosexuels ou les individus ayant fait le choix de rester célibataire».

Ce texte est capital en ce que la plupart des signataires sont des personnalités de la gauche et du féminisme. On y trouve des responsables d’associations homosexuelles et même des militantes du droit à l’avortement.

En général, il est convenable, dans ces milieux, d’affirmer que le fœtus n’est qu’une partie du corps de la femme. L’avortement n’est, selon la formule attribuée à Simone de Beauvoir, qu’«une opération semblable à l’extraction d’une dent». On peut en déduire que, pour elle, porter l’enfant d’une autre n’engagerait pas plus que de porter une prothèse dentaire. En 1980, Elisabeth Badinter publiait L’amour en plus, qui «démontrait» que l’instinct maternel n’existe pas.

Des théologiens félons, obsédés d’alignement, affirment que l’embryon ne devient un être humain qu’au moment où une relation personnelle s’établit entre sa mère et lui. Mais comment imaginer qu’une relation pourrait préexister aux êtres qu’elle unit?

En contestant la légitimité du «droit à l’enfant», l’appel brise une routine intellectuelle bien établie. Pour quels motifs? S’agit-il simplement d’une pesée d’intérêt entre droits de l’homme concurrents: les droits de la mère porteuse et ceux de l’enfant contre le besoin d’enfant de la cliente et de son mari?

Il semble qu’il y ait plus: «Le lien biologique entre la mère et l’enfant, dit l’appel, est indéniablement de nature intime et, lorsqu’il est rompu, les conséquences en sont durables pour les deux parties.» Il affirme donc l’existence d’un intérêt commun à l’enfant qui va naître et à celle qui l’héberge, une relation vitale qui les unit et manifeste leur commune humanité. Il va même plus loin encore en affirmant explicitement que «la GPA rompt le lien maternel naturel qui s’établit pendant la grossesse – un lien que les professionnels de la médecine encouragent et cherchent à renforcer sans relâche». Les droits individuels se voient ici subordonnés à la réalité supérieure du lien communautaire. Aux yeux des beauvoiriens, s’ils existent, cette formule de lien maternel naturel constitue un gigantesque pas en arrière. Il ne s’agit pourtant que de la réapparition inévitable d’une réalité niée par leur milieu pour des motifs de lutte idéologique.

Les signataires devraient ne pas en rester là et prolonger la réflexion. En particulier, puisqu’on ose à nouveau invoquer les relations entre la mère et l’enfant qu’elle porte, reconnaissant du même coup la réalité humaine de cet enfant, il serait logique de reprendre toute la question de l’avortement. Car ce qui est vrai pour la GPA l’est encore plus pour l’interruption de grossesse, qui rompt elle aussi «le lien biologique entre la mère et l’enfant», avec «des conséquences durables (et même définitives, réd.) pour les deux parties».

Dans la perspective qu’ils ont esquissée, les signataires pourraient énumérer les nombreux risques médicaux et psychologiques liés à l’avortement. Ils pourraient noter que la revendication de l’avortement «libre» relève d’une vision fondamentalement individualiste de la condition humaine, ce qui n’est pas forcément une garantie de justice et de solidarité. Ils pourraient souligner que l’avortement arrange particulièrement le macho irresponsable et dénoncer le fait que, du point de vue du marché, l’avortement est considéré comme une opération moins coûteuse que les crèches et les jardins d’enfants. Ils pourraient même se rendre compte que l’ordre social antérieur, qui n’était au fond pas plus imparfait ni plus injuste que l’actuel, avait au moins pour souci de protéger «le lien maternel naturel qui s’établit pendant la grossesse».

Restons calmes, une hirondelle ne fait pas le printemps! Mais il est toujours agréable, sous un ciel bas, d’en apercevoir une, en train de décrire des arabesques qu’on avait oubliées.

Notes:

1 www.liberation.fr/societe/2015/05/11/pour-l-arret-immediat-de-la-gestationpour- autrui_1306937 

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