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République tolérante

Jean-Baptiste Bless
La Nation n° 2020 12 juin 2015

Après les attentats terroristes de janvier dernier, le président de la République française a appelé à « s’unir contre la violence ». S’unir contre la violence ? Certes. Mais au nom de quoi ? Au nom de Charlie Hebdo, pamphlet laïc et athée qui dénigre tout ce qui touche au sacré ? Au nom de la République, elle aussi farouchement laïque ? Au nom de la tolérance ?

Les musulmans eux-mêmes sont divisés. Il y a les jeunes voyous qui proclament sans vergogne leur soutien aux terroristes. Avec eux, on sait à quoi s’en tenir. Il sera de la responsabilité de l’Etat de les tracer, de les traquer, et de les condamner durement, question de survie et de crédibilité.

Il y a les officiels qui se déclarent « tristes » et condamnent « sans appel ». On peine à les croire. Comment expliquent-ils qu’en Syrie, en Irak, en Somalie, au Pakistan, en Inde, dans la quasi-totalité des pays musulmans d’Afrique et d’Asie, et maintenant en Australie, en France, on tue au nom d’Allah ? Comment expliquent-ils que l’immense majorité des régimes musulmans punissent de peines allant de l’emprisonnement à la peine de mort la conversion des musulmans à une autre religion ? Comment peuvent-ils condamner une violence et se taire sur l’autre ? Ou alors reconnaissent-ils implicitement qu’il n’y a pas de réciprocité et que c’est bien ainsi ?

Il y a l’immense masse des musulmans que l’on n’entend pas. De qui se sentent-ils redevables ? Et de qui ont-ils le plus peur ? Il y a parmi eux ceux qui se réjouissent secrètement ; combien sont-ils ?

Il y a les croyants sincères qui, pratiquant leur religion, condamnent instinctivement cette violence disproportionnée, même si elle a répondu à une attaque contre leur foi.

Il y a enfin ceux que l’usage du nom d’Allah pour justifier des bains de sang dégoute plus encore : ils se désolidarisent et commencent à douter. Ils réalisent que c’est ce qui fonde leur foi qui mène d’autres aux actes les plus inhumains et horribles. Dieu contre les hommes ? Comment serait-ce possible… ? Pour ceux-là, le dilemme est tragique, car l’islam n’est pas seulement leur foi personnelle ; c’est également leurs origines depuis treize siècles, c’est leur famille, c’est souvent leur première patrie, c’est leur monde, leur point de repère dans un pays qui ne leur en offre pas d’autre.

Car la question est là : au nom de quoi faut-il dire non à la violence ? Au nom de quoi faut-il s’unir ? Au nom de quoi peut-on faire régner la paix ?

Les valeurs républicaines furent imposées dans le sang. La République est donc mal placée pour s’indigner contre la violence. Depuis deux siècles, elle prône la liberté, mais personne ne s’accorde pour en fixer les limites ; elle veut établir l’égalité, contre toute évidence ; elle souhaite la solidarité, sans pour autant définir d’autres objectifs communs que la démocratie et les droits de l’homme. Or ces principes, par essence, renvoient le citoyen à son propre nombril et excitent les revendications individuelles contre toute forme d’entente. Devant l’échec des principes fondateurs, la République a inventé la tolérance et l’antiracisme, toujours appliqués de manière unilatérale, déchirant une nouvelle fois la société entre éternelles victimes et oppresseurs de toujours.

La République française, héritière de la plus brillante des civilisations a fait table rase de son passé et dressé en dogmes nouveaux des idées trop désincarnées pour ne pas être des utopies, trop vagues pour ne pas semer autre chose que la lutte des classes, des sexes, des races et des religions. La République porte sa propre destruction dans son noyau même.

A ce jour, il ne reste aux hommes de bonne volonté qu’à se demander une chose : sur quelle base cette société peut-elle se reconstruire ? La tolérance tant prônée ne peut pas servir de principe d’unité, car elle n’est qu’absence. C’est une valeur négative, vide. Pour réunir les hommes, il faut leur proposer un édifice à construire, or la tolérance leur demande de ne pas se jeter des pierres… La tolérance est un idéal de cour d’école, conduisant à l’infantilisation des individus et à la perte progressive de tout système immunitaire pour une société. Car si tout le monde est éduqué à tout tolérer, on se met à tolérer l’intolérable, c’est la loi du plus fort qui s’installe, et on s’y soumet, au nom de la tolérance, avant de s’en indigner, sans plus savoir pourquoi. La tolérance, c’est le chaos programmé.

Certains persistent et veulent plus de République ; d’autres dénoncent et voudraient un autre régime ; d’aucuns se réjouissent, car le désordre peut ouvrir la voie à leur idéologie. La France est déchirée, irrémédiablement. Elle vacille et cherche son point d’équilibre. Quel sera le principe d’unité ? Quelle sera la clé de voûte ?

Les « valeurs de la République » ont échoué parce qu’elles n’étaient que des baudruches flottant dans une atmosphère d’orgie générale. Elles ont échoué parce qu’elles n’étaient que des idées chrétiennes coupées de leurs fondements. « Revenons aux valeurs ! » Mais quelle force de conversion ont ces valeurs si elles ne sont pas accompagnées de vertus ? Et ces vertus, quelle légitimité auraient-elles sans mystique et objet de contemplation ?

On a prôné le « vivre ensemble », comme si l’homme était un engrenage qui s’imbriquait dans d’autres pour finalement produire la gigantesque machine de l’humanité. On a voulu réduire l’homme à un consumériste qui mange, boit, consomme, se vide et recommence, à un cerveau au service d’un ventre. On a voulu nier la nature spirituelle de l’homme, nier son besoin de beau, de bien et de vrai alors que, pour déployer toute son énergie de cohésion, il lui faut regarder vers le haut et se nourrir à une source qui le dépasse. On a rêvé l’homme tel qu’il n’était pas, et on s’étonne que la machine se grippe.

On a oublié la paix de la Crèche et la rédemption de Pâques depuis trop longtemps.

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