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Comprendre la Suisse au XVIIIe siècle

Jean-François Pasche
La Nation n° 2020 12 juin 2015

Abraham Stanyan est un agent politique du début du XVIIIe siècle. Il a été l’envoyé extraordinaire du roi d’Angleterre dans les cantons suisses entre 1705 et 1714. Ce sont les années de la guerre de Succession d’Espagne, dans laquelle Louis XIV s’oppose à une coalition regroupant l’Empereur, la Grande-Bretagne, les Provinces Unies et la Prusse. A cette époque, l’influence sur le Corps helvétique, composé alors de treize cantons, est un enjeu pour les Grandes Puissances ; les mercenaires suisses sont convoités et la situation géostratégique des cantons est centrale, grâce au contrôle des cols menant à l’Italie.

La France est la plus influente ; ses rois depuis François Ier s’allient presque tous avec les cantons. La dernière alliance remonte à 1663. Elle doit durer tout le règne de Louis XIV, plus huit ans après sa mort. Pendant la guerre de Succession d’Espagne, ce dernier cherche à renouveler cette l’alliance avant sa mort.

Un ambassadeur résidant à Soleure représente continuellement les intérêts du roi de France dans les cantons.

Dans les années 1700-1715, le Corps helvétique connaît donc une intense activité politique étrangère ; pendant que Louis XIV tente de s’assurer de l’appui des Suisses, l’Empereur cherche à profiter des tensions entre la France et les cantons réformés, nées de la politique anti-protestante du monarque français. Dans ce contexte, l’Angleterre est aussi présente. Elle appuie notamment les prétentions du roi de Prusse sur la principauté de Neuchâtel, vacante depuis la mort de la dernière représentante de la famille d’Orléans-Longueville en 1707. S’ouvre alors une lutte de succession entre des prétendants français et le roi de Prusse, qui en sortira finalement vainqueur. Stanyan est très actif dans cette affaire.

En 1714, l’agent politique anglais publie un livre sur la Suisse, Account of Switzerland, traduit la même année en français sous le titre d’Etat de la Suisse. Cet ouvrage se place dans le cadre large des écrits sur la Suisse. Dès le Moyen Age, des voyageurs traversent le territoire helvétique et témoignent de leur expérience dans leurs récits de voyage. A la Renaissance, les voyages à travers l’Europe se multiplient en raison de l’intensification des échanges ; les marchands, les étudiants, les mercenaires, les ecclésiastiques, les agents politiques, les étudiants : beaucoup de personnes se déplacent et beaucoup passent par la Suisse. Parmi ces voyageurs on peut mentionner Michel de Montaigne, qui a décrit Bâle, Schaffhouse et Baden dans le récit de son voyage à travers l’Europe dans les années 1580.

Dans son ouvrage, Stanyan a la particularité d’aborder le Corps helvétique dans son ensemble. L’agent anglais parle de chaque canton séparément, de leur géographie, de leurs ressources naturelles et de leur système politique, au contraire de la plupart des récits de voyage, qui s’arrêtent sur quelques lieux connus en Suisse, comme Bâle, Zurich, Berne, Baden ou les chutes du Rhin.

On remarque à la lecture de L’état de la Suisse que Stanyan perçoit la Suisse comme une entité géographique unifiée et cohérente. Pour lui, il existe un pays et un peuple suisses (sic). Cette union, il l’explique par l’histoire de la lutte commune des Confédérés contre les Habsbourg pour leur liberté. Stanyan est très admiratif de cette liberté, synonyme ici d’indépendance des bourgeois ou des paysans face aux grands seigneurs d’Empire.

Cependant, Stanyan conçoit très bien la diversité politique qui existe en Suisse. Il décrit chaque canton particulièrement. En outre, il accorde une grande importance aux systèmes politiques différenciant les cantons. Il distingue nettement les cantons villes, dits aristocratiques, des cantons à Landsgemeinde, dits à gouvernement populaire.

Quant à la Diète confédérale, l’agent anglais montre bien qu’elle n’a aucune emprise sur les politiques internes des différents cantons.

Chez Stanyan persiste le paradoxe d’une vision globale de la Suisse et de la compréhension des particularités de chaque canton, et de leur souveraineté presque complète, jamais remise en cause. Au début du XVIIIe siècle, la vision politiquement centralisée de la Suisse n’existe pas. Il y a des cantons souverains, dotés d’institutions et de coutumes propres. En revanche, on dénote chez l’agent politique anglais la volonté d’englober le tout dans une Suisse unie par l’idéal de liberté. Déjà chez Machiavel, le Suisse était un soldat robuste et dur au combat, peu importe qu’il soit de Berne ou d’une vallée uranaise. Dans l’imaginaire européen, le Suisse existe bien avant que la Suisse ne soit un pays unifié politiquement.

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