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Un aveuglement volontaire

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2023 24 juillet 2015

Sous le titre «Le Tessin est submergé par l’arrivée de migrants de Méditerranée», dans 24 heures du 16 juin dernier, Mme Judith Mayencourt évoque «l’urgence de la situation au Tessin». Le nombre des requérants augmente considérablement, comme celui des personnes sans autorisation de séjour: «Le Tessin est débordé.» «Ses centres d’enregistrement sont totalement embouteillés.»

Le conseiller d’Etat tessinois Norman Gobbi demande à la Confédération de fermer sa frontière sud.

«En début d’année, nous dit encore Mme Mayencourt, le Secrétariat aux migrations (SEM) tablait sur 29'000 demandes d’asile cette année (contre 23'700 en 2014). Mais il est probable que les chiffres seront revus à la hausse.» Vu l’évolution du Moyen-Orient, cette hausse a même toutes les chances de prendre la forme de pics sans commune mesure avec l’augmentation que nous vivons actuellement.

En ce sens, si la volonté de la conseillère fédérale Sommaruga d’accélérer les procédures d’asile est en soi judicieuse, elle ne permettra que de ralentir l’augmentation du nombre de dossiers sur la table et de requérants sur notre sol en attente d’une décision.

Le SEM a annoncé l’ouverture de nouvelles places d’accueil temporaires au Tessin. Trois abris de la protection civile ont été ouverts. Mme Mayencourt demande si cela suffira, et pour combien de temps. Il paraît que «la Confédération planche sur la question». Bon. La principale solution évoquée: ouvrir, dans toute la Suisse, de nouveaux centres d’hébergement temporaires et agrandir ceux qui existent. Là encore, nous ne sortons pas de la perspective du traitement administratif et au cas par cas d’une immigration de masse.

Le Conseil fédéral est allé rendre visite in corpore au centre de requérants de Riggisberg, dans la canton de Berne. Dans cette opération publicitaire dilatoire, M. Ueli Maurer fut le seul à se montrer courageux, c’est-à-dire normalement désagréable, et à ne pas donner de faux espoirs.

Mgr Felix Gmu?rr, évêque de Bâle, dans son discours de remise du prix Caritas à M. Gabriele Del Grande, journaliste, a donné son point de vue (1): «Dans notre politique envers les réfugiés et les migrants, nous devrions montrer plus de sympathie au lieu d’exclusion. C’est aussi valable pour celles et ceux qui prennent les décisions politiques.» Fondée en ce qui concerne l’attitude du chrétien à l’égard des étrangers qui sont chez nous et respectent notre droit, la position du prélat est irresponsable sur le plan politique, sa formule refusant a priori toute limite à nos possibilités réelles d’accueil.

Le récipiendaire du prix Caritas était dans la même ligne, affirmant du haut de sa grandeur que l’«impression d’être envahis par les migrants est erronée» et proposant «d’octroyer 200’000 visas européens par an, ce qui correspond au nombre de personnes qui arrivent par la mer chaque année». Il fondait sa proposition sur le fait que «la mobilité est un droit qui appartient à tout le monde».

Quand on déclare qu’il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais de malheureux qui ont tout perdu et que la simple humanité nous contraint de loger et de nourrir, on ne dit qu’une partie de la vérité. Car les requérants ne sont pas que des cas individuels. Ils représentent aussi des réalités collectives qu’on occulte trop facilement. Ils sont porteurs de cultures, de mœurs, de manières d’être familiales, sociales, religieuses, étrangères à la culture du lieu. Beaucoup des nouveaux arrivants n’ont même pas d’autre culture que celle de la guerre des rues et de la lutte pour la survie quotidienne.

Là est le nœud de la question. Car au rythme croissant de leur installation, leurs exigences à l’égard de la société et de l’Etat ne pourront qu’augmenter elles aussi. Tout naturellement, je le dis sans ironie, ils demanderont que les lois incorporent mieux leurs usages, notamment matrimoniaux, judiciaires et religieux, que les écoles tiennent davantage compte de leurs spécificités culturelles, qu’ils puissent, autant que les nationaux, disposer de la rue pour manifester et de l’espace sonore pour appeler à la prière. Cette physique sociale finira tôt ou tard par s’imposer.

On a lu que M. Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, prototype du musulman modéré, avait proposé qu’on mette les églises chrétiennes «vides» à la disposition des musulmans. Cela a suscité quelques réactions. Alors, on a lu qu’il ne s’agissait que d’une simple «conversation tout à fait impromptue et sans aucune intentionnalité». Peu importe, la machine est amorcée, on peut-être certains qu’on en reparlera sous peu.

On blâme l’attitude tessinoise – en espérant lâchement que le destin nous dispensera de nous trouver dans la même situation (trop tard: cet article était écrit quand nous sommes tombés sur 24 heures du 18 juillet: «Vaud peine à faire face à un flux record de requérants»).

On ne veut pas voir que les Tessinois voient leur canton en train de perdre son identité, son âme collective, cette réalité séculaire que l’Etat cantonal et la Confédération ont pour devoir premier de défendre. C’est un signe désespéré que nos confédérés tessinois nous envoient. Mais, pareil aux trois petits singes, le monde officiel ne voit rien, n’entend rien et ne dit mot.

La demande de M. Gobbi est probablement conforme à l’accord de Schengen, qui prévoit la possibilité de rétablir des frontières dans des situations exceptionnelles. Cependant, au vu des traités que nous avons signés, de la situation de désordre international et de notre propre faiblesse, une telle solution sera très difficile à concevoir, à décider et à appliquer. Elle sera probablement décevante dans ses résultats. Mais il est juste de l’examiner à fond, sereinement, en en pesant les avantages, les inconvénients, les risques.

Pour cela, il faut commencer par nommer les choses et reconnaître les faits. Il faut émettre des prévisions vraisemblables à partir des statistiques et de leur évolution, sonder notre capacité psychologique, morale, sociale de supporter ce flux croissant d’arrivants, en tirer des critères qui permettront de juger quand nos limites sont atteintes, prévoir dès maintenant les mesures que nous devrons prendre quand on y arrivera. Il faut aussi, parallèlement, exiger des autres Etats signataires que l’espace Schengen, qui devait remplacer les frontières des Etats par une frontière commune, tienne ses promesses.

 

NOTES:

1) «Cette impression d’être envahis par les migrants est erronée», Lucie Monnat, 24 heures du 20 juin dernier

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