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Marquises de Blaise Hofmann

Vincent Hort
La Nation n° 2023 24 juillet 2015

Les Marquises constituent un archipel de huit îles situées au Nord-Est de la Polynésie française, en plein cœur de l’Océan Pacifique, à des milliers de kilomètres de l’Amérique du Sud et de l’Indonésie. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, quelques rares explorateurs ont décrit ces lieux isolés et les mœurs de leurs habitants, rapportant des récits de guerres tribales, de tatouages rituels et de cannibalisme.

C’est à la découverte de cet univers lointain que Blaise Hofmann a choisi de passer trois mois dans l’archipel d’où il ramène un nouveau récit de voyage simplement intitulé Marquises (1). L’auteur, né en 1978 à Morges, a régulièrement signé dans la presse des chroniques de voyage et publié plusieurs récits de ses périples. La narration de sa rude expérience de moutonnier d’un été sur l’alpe lui a valu le Prix Nicolas-Bouvier (Estive, 2007, La Nation n° 1816).

C’est donc en véritable écrivain-voyageur que Blaise Hofmann relate sa rencontre avec ces terres perdues. Se déplaçant d’île en île, il raconte les Marquises et les Marquisiens d’aujourd’hui avec intelligence, précision et une pointe de dérision qu’il réserve également à lui-même.

Son récit se présente comme un carnet de route où il consigne ses observations et ses impressions. Voyageant avec des moyens limités, il n’est ni un touriste, ni un ethnologue. Ses contacts avec les insulaires sont simples et directs. Cette approche lui permet de susciter des rencontres avec des personnages singuliers pour lesquels l’auteur témoigne d’une réelle sympathie. Dans chaque île visitée, Blaise Hofmann noue contact avec quelques habitants dont il décrit le caractère, les activités, les projets et souvent les liens familiaux. Son livre contient ainsi une série de portraits de Marquisiens et de Marquisiennes particulièrement attachants, plus vrais et plus actuels que l’image que l’on se fait habituellement en pensant à Paul Gauguin ou Jacques Brel.

Le lecteur découvrira au fil des pages de Marquises la luxuriance de la végétation, l’immensité océane, la présence de l’Eglise et la résurgence des rites ancestraux, l’irruption de la consommation mondialisée, les conditions de vie frugales et les initiatives locales qui naissent en dépit ou sous l’égide distante et prodigue de l’administration de ce territoire français d’outre-mer.

Pour son séjour, l’écrivain a réuni différents comptes rendus laissés par les navigateurs d’autrefois. Ceux-ci sont au demeurant peu nombreux et parfois contradictoires quant aux mœurs des indigènes, notamment sur la question controversée de l’anthropophagie. Au fil de ses rencontres, l’auteur parvient souvent à retrouver la trace des descendants de ceux qu’ont décrits les voyageurs qui s’arrêtèrent aux Marquises. En confrontant leurs souvenirs aux témoignages de ces explorateurs, on prend la mesure de l’incompréhension réciproque qui a pu s’installer entre les autochtones et leurs visiteurs.

Pour autant, le regard que porte Blaise Hofmann sur le travail de description et de consignation mené par les Européens – explorateurs, marins, aventuriers, administrateurs ou missionnaires – n’est pas forcément critique. Au contraire, dans le renouveau culturel et identitaire que connaît depuis une ou deux décennies ce petit peuple de dix mille âmes, l’apport de ces témoignages s’avère essentiel dans la réappropriation des coutumes et des traditions.

Le colon vaudois de Fatu Hiva

Au cours de ses pérégrinations, Blaise Hofmann eut l’occasion de mettre en lumière l’étonnante histoire de François Grelet, de La Tour-de-Peilz, venu s’établir en 1892 sur l’île de Fatu Hiva avec l’intention d’y développer le potentiel agricole du territoire (2). Sérieux et travailleur, il multiplia les entreprises et lança de nombreuses initiatives, de la plantation du café à l’élevage et au commerce du coprah. Ses efforts incessants se heurtèrent hélas aux calamités naturelles et à l’impéritie de l’administration coloniale. Ses espoirs et ses difficultés sont minutieusement relatées dans la correspondance suivie qu’il entretint avec sa famille restée sur les bords du Léman et à laquelle il dut, la mort dans l’âme, demander à plusieurs reprises une aide financière. S’il ne reste rien aujourd’hui des tentatives agricoles de François Grelet, il fit souche à Fatu Hiva où son fils Willy devint chef de l’île, ami de Gauguin et titulaire de la Légion d’honneur. La fille de Willy Grelet, aujourd’hui alerte vieille dame, anime le musée de l’île installé dans la propre demeure de son aïeul vaudois.

Marquises est une prenante invitation au voyage, au dépaysement et aux horizons nouveaux. Si Blaise Hofmann exprime avec talent la force et la richesse de la nature, il évite le piège de l’exotisme facile. Sa description des Marquisiens d’aujourd’hui nous fait découvrir et apprécier une communauté en voie de renaissance, cherchant son chemin entre les traditions ancestrales, une modernité parfois frelatée et le cadre plutôt bienveillant de l’administration française d’outre-mer.

 

NOTES:

1) Blaise Hofmann, Marquises, Editions Zoé, novembre 2014, 250 p.

2) Coïncidence: on relèvera dans l’édition de juin de Passé Simple, mensuel romand d’histoire et d’archéologie, le cas du Vaudois Jean-Samuel Guisan, chargé, en vertu de ces mêmes qualités de sérieux et d’assiduité au travail, de relever l’agriculture de la Guyane à la fin du XVIIIe siècle.

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