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Pour un Conseil de la magistrature

Félicien Monnier
La Nation n° 2023 24 juillet 2015

A la suite de l’affaire Marie, de nombreuses interventions ont eu lieu en faveur d’une réorganisation de la surveillance de nos autorités judiciaires, du Tribunal cantonal en particulier. Elles se sont ajoutées aux réflexions alors en cours sur la réforme de la justice. La loi sur la haute surveillance du Tribunal cantonal (LHSTC) du 8 mars 2011 consistait déjà en une première étape de cette réforme.

En novembre 2014, M. Dick Marty a publié un rapport sur la haute surveillance des autorités judiciaires vaudoises. Certaines de ses conclusions font écho à des propositions formulées par l’Ordre des avocats vaudois en 2010, lors de la procédure de consultation sur la LHSTC. Parmi celles-ci figurait l’institution, dans le Canton, d’un Conseil supérieur de la magistrature, dénommé plus récemment et plus simplement Conseil de la magistrature. Me Christophe Piguet, ancien Bâtonnier, avait défendu un tel projet durant son bâtonnat. Nous croyons savoir que les réflexions déjà entamées en 2010 sont largement partagées par son successeur Me Elie Elkaim.

Mercredi 10 juin dernier, Me Piguet était dans nos locaux afin de défendre ce projet.

Etat des lieux

Actuellement, le spectre des compétences de surveillance et de gestion de la justice vaudoise est à la fois touffu et dispersé. La surveillance et le pouvoir disciplinaire sur les autorités judiciaires d’un rang inférieur au Tribunal cantonal dépendent de ce dernier. Sont notamment concernés les tribunaux d’arrondissement, les justices de paix ou encore les tribunaux des baux. De même, la nomination des magistrats de ces juridictions inférieures relève du Tribunal cantonal.

La constitution, la gestion et la surveillance du Tribunal cantonal est plus complexe. Pas moins de cinq autorités ont aujourd’hui droit de regard sur son fonctionnement. La Commission de présentation du Grand Conseil se charge de sélectionner les candidatures et de préaviser à l’intention du Grand Conseil. La Commission du Grand Conseil sur la haute surveillance du Tribunal cantonal exerce, comme son nom l’indique, la surveillance sur le Tribunal cantonal. Le Bureau du Grand Conseil a compétence pour ouvrir une enquête administrative contre un juge cantonal et décider de son éventuelle suspension. Le Bureau devra néanmoins transmettre le dossier au Tribunal neutre pour la prise d’une sanction disciplinaire. Cette procédure compliquée et lente n’a jamais été utilisée jusqu’à présent. Enfin, le Tribunal cantonal lui-même, par sa cour administrative, gère son organisation interne.

Ces dernières décennies, le nombre des juges cantonaux et de leurs suppléants a pris l’ascenseur. Encore onze à la fin des années 1980, les juges cantonaux sont aujourd’hui quarante-six, épaulés par onze suppléants. La justice vaudoise apparaît de fait de plus en plus comme une lourde machine aux yeux des justiciables. Sa surveillance en devient plus complexe.

Correctifs à apporter

La procédure de nomination de ce grand nombre de juges cantonaux n’est pas sans poser des questions. Le système des listes fournies par les partis prévaut toujours. Ces derniers exigent de «leurs» juges qu’ils contribuent à la caisse centrale et on comprend qu’ils soient réticents à renoncer au système. Il n’est pas satisfaisant, pour l’indépendance de la justice, que le Grand Conseil nomme les juges qui reverseront une part de leur salaire aux partis qui composent précisément ce Conseil.

Selon Me Piguet, l’époque où – schématisons – une élite libérale choisissait onze avocats en son sein pour les nommer au Tribunal cantonal est révolue. La complexification du droit et la tendance à la spécialisation rendent le choix des candidats très délicat. La solution passera sans doute par une sortie du système artificiel des partis. M. Dick Marty partage cet avis dans son rapport.

La surveillance disciplinaire d’un Tribunal à fort effectif mérite également une réforme. Si une sanction doit être prise contre un juge, il importe que – dans une première phase à tout le moins – la discrétion la plus absolue soit appliquée. La justice doit pouvoir échapper à toute influence médiatique ou politique durant une enquête. Le spectacle de députés montant à la tribune pour influencer l’enquête administrative du Bureau du Grand Conseil, ou se placer pour les élections, ne manquerait pas d’ébranler la confiance du justiciable en nos autorités.

Que la surveillance d’un organe judiciaire relève du monde politique pose en soi la question de l’indépendance. Probablement est-ce au caractère conciliant des Vaudois que l’on doit l’absence de problème d’envergure. A titre d’exemple, il était inacceptable que M. Pierre-Yves Maillard critique, devant le Grand Conseil, la décision de la Cour constitutionnelle relative à l’Hôpital de Rennaz. Si l’application de la loi ne convient pas aux autorités, qu’elles la changent.

Un Conseil de la magistrature

Les tâches d’un Conseil de la magistrature porteraient donc essentiellement sur la nomination et la surveillance des magistrats vaudois. Un point primordial est néanmoins celui de sa composition. Face à la complexité des enjeux, il importe d’engager des magistrats dans cette tâche de surveillance et de nomination du Tribunal cantonal. Le jugement par les pairs a toujours été gage d’équité. On l’accepte pour les avocats, les notaires et les médecins. L’indépendance requise d’un juge n’est pas moins importante que celle du médecin ou de l’avocat.

Un Conseil de la magistrature composé majoritairement de députés ne changera rien aux dysfonctionnements actuels. Peu de parlementaires, voire aucun, n’a d’expérience judiciaire de l’intérieur. L’une des propositions – très originale – de l’Ordre des avocats vaudois serait de permettre à des magistrats retraités de siéger au Conseil de la magistrature. Ils pourraient y être accompagnés par un ou deux avocats expérimentés. Le Conseil d’Etat, quant à lui, aurait pour tâche de désigner une ou deux personnes, moins directement liées au système vaudois, afin d’assurer un regard extérieur. Me Piguet évoquait la possibilité de nommer un juge fédéral à la retraite ou un professeur d’université.

Cette proposition risque de rencontrer la résistance du Grand Conseil qui perdrait ses compétences. Nous avons montré l’intérêt des partis au maintien du système actuel. Mais la proposition des avocats vaudois n’enlève pas toute compétence au Grand Conseil puisque celui-ci reste constitutionnellement le concepteur de l’organisation judiciaire vaudoise. En cela il continue notamment de surveiller la gestion financière de la justice.

Concernant la nomination des juges, on peut se demander si le Conseil de la magistrature sélectionne et désigne, ou se contente de sélectionner et de présenter les candidats au Grand Conseil qui, lui, décide. Nous penchons pour la première variante. Mais toutes deux ont l’avantage de permettre à des gens extrêmement qualifiés et sensibles aux enjeux du métier de magistrat de sélectionner les meilleurs juges pour notre Tribunal cantonal.

Les contours d’un futur Conseil de la magistrature ne sont pas encore arrêtés avec précision. La Nation suit le dossier.

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