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Soumission, un roman

Paul-Frédéric Vincent
La Nation n° 2023 24 juillet 2015

D’aucuns résument assez sèchement Soumission, dernier roman de Michel Houellebecq, paru chez Flamarion, en 2015: une France islamisée, en 2022, après la victoire de la «Fraternité musulmane», un parti qui s’allie au PS et à l’UMP face au FN, avec Bayrou en premier ministre. On découvre ce tableau à travers les yeux de François, un universitaire asocial, encore plus dépressif que les précédentes figures houellebecquiennes, et spécialiste de l’écrivain Huysmans, son seul allié, surtout après le départ en Israël de l’étudiante avec laquelle il couche. Houellebecq ne s’interdit aucun raccourci: les femmes se couvrent les jambes, le chômage est effacé par leur retrait du marché du travail, les universités sont rebaptisées «islamiques». François assiste passif à la transformation, en tâchant de régler sa quête personnelle de la foi: catholicisme sur les traces de son romancier fétiche (François ne croit pas en la Trinité), ou islam, pour réintégrer la Sorbonne qui impose désormais la conversion à ses professeurs? Ce sera, à l’issue du livre, l’islam pour deux raisons: la polygamie et le triplement de son salaire (1).

Malgré son décor très bien planté, malgré de nombreuses allusions savantes à de nombreuses doctrines philosophiques, Soumission n’est ni islamophobe ni islamophile – parce que ce roman raconte et montre, sans démontrer. A la fin de l’histoire, l’avènement d’un nouveau régime, et un changement de statut social, laissent espérer à François des épouses «dignes d’être aimées», en même temps qu’ils le rendent, soudainement, capable d’aimer. En effet, François se trouve galvanisé par la perspective d’une deuxième vie – dans laquelle il n’y aura rien à regretter de la première, ni la solitude ni la laïcité laïcarde. Le propos de Soumission est donc romanesque: ce livre raconte comment François va en arriver à ce stade de sa vie, en même temps qu’il montre les états d’âme de cet homme au cœur sec, «aussi politisé qu’une serviette de toilette».

Cependant, Soumission ne décrit pas «un monde laid dans une prose encore plus laide» (2). Cette prose est adaptée à notre monde comme un antidote l’est à un poison: elle répond, peu ou prou, à un «besoin de métaphores inédites, quelque chose de religieux qui intègre l’existence des parkings souterrains» (3). Un passage, consacré à Rocamadour, le montre: «Le site était […] impressionnant, et il était extrêmement visité. Le renouvellement permanent des touristes venus des quatre coins du monde qui se succédaient, tous un peu différents, tous un peu similaires, un caméscope à la main, pour parcourir avec ébahissement cet enchevêtrement de tours, de chemins de ronde, d’oratoires et de chapelles qui escaladaient la falaise me donna au bout de quelques jours l’impression d’une espèce de sortie du temps historique, et c’est à peine si je remarquais, au soir du second dimanche électoral, la large victoire de Mohamed Ben Abbes.»

Dans cette même veine, Soumission montre l’amour d’un homme, apparemment sec de cœur, pour la littérature, ou plutôt pour certains littérateurs. Cela nous vaut un passage – tronqué en cette occurrence – mémorable entre tous: «[S]eule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances; avec tout ce qui l’émeut, l’intéresse, l’excite ou lui répugne […], de manière plus directe, plus complète et plus profonde que ne le ferait même la conversation avec un ami […]. Alors bien entendu lorsqu’il est question de littérature, la beauté du style, la musicalité des phrases ont leur importance; la profondeur de la réflexion de l’auteur, l’originalité de ses pensées ne sont pas à dédaigner; mais un auteur c’est avant tout un être humain, présent dans ses livres […] [condition discriminante entre toutes]. [Hélas], trop souvent on voit s’effilocher, au fil de pages qu’on sent dictées par l’esprit du temps davantage que par une individualité propre, un être incertain, de plus en plus fantomatique et anonyme. […] [U]n livre qu’on aime, c’est avant tout un livre dont on aime l’auteur, qu’on a envie de retrouver, avec lequel on a envie de passer ses journées.»

On a envie de passer ses journées avec Michel Houellebecq.

 

NOTES:

1) Annabelle Laurent, «Soumission de Michel Houellebecq, un livre dangereux?», paru sur www.20minutes.fr, état au 15 juin 2015.

2) Voir notamment Romain Debluë, «Houellebecq en rade», paru sur Causeur.fr, état au 15 juin 2015.

3) Michel Houellebecq, Non réconcilié, Gallimard 2014, p. 7, citation de Les anecdotes, par le préfacier, Agathe Novak-Lechevalier.

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