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Un Etat peut-il s’excuser?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2024 7 août 2015

A Jean-Pierre Elkabbach qui lui demandait si la France présenterait les excuses que beaucoup attendaient pour «ce qui s’était passé à Vichy», le président Mitterrand déclara, d’un ton tranchant: «Ils attendront longtemps. Ils n’en auront pas. La France n’a pas d’excuses à donner, ni la République. A aucun moment je ne l’accepterai.» C’était en 1991.

De passage en Algérie, le président Hollande a tenu, à sa manière, le même langage. Il a certes sacrifié au politiquement correct, évoquant les souffrances de la colonisation et passant sous silence les bienfaits de la présence française. Il n’en a pas moins ajouté qu’il ne venait pas «faire repentance ou excuses». De même, le premier ministre anglais David Cameron, en visite aux Indes en février 2013, a reconnu le caractère honteux du massacre perpétré à Amritsar en 1919 par les troupes britanniques. Mais il n’a pas fait d’excuses publiques. Certains ont attribué ces attitudes de fermeté à la crainte que des excuses ne débouchent sur des revendications financières1. Dans tous les cas, le fait est qu’ils ne se sont pas excusés. En refusant de rendre des comptes à une autorité extérieure, ils ont évité un acte de soumission incompatible avec leur souveraineté.

Les excuses d’Etat sont un genre extrêmement périlleux. Du point de vue du bien commun, elles n’auraient de sens que dans la perspective d’une réconciliation. Cela impose deux conditions à peu près impossibles à satisfaire en régime démocratique.

La première est que le gouvernement qui présente ses excuses soit assez sûr de lui et de sa légitimité pour affirmer la responsabilité solidaire de la nation avec la totalité de son passé, même le plus trouble, et de ses acteurs, même les plus douteux. Comme pour le simple citoyen, ses excuses n’ont un sens que si elles l’engagent vraiment et ne sont pas données du bout des lèvres.

C’est trop peu dire que le passé est inextricablement mêlé au présent: le présent est fait du passé, repris, retravaillé, recyclé. Au fil de cette incessante recomposition, nos actes individuels ou collectifs passés changent peu à peu de statut et se fondent dans une histoire commune indivise. On ne peut rejeter une partie de cette histoire sans mutiler le présent et léser les nouvelles générations.

C’est pourquoi l’unité dans le temps est aussi nécessaire à un pays que son unité dans le présent. Il est remarquable que le président Poutine ait plus d’une fois manifesté la conscience qu’il avait de cette nécessité. Un de ses soucis constants est que les Russes assument la totalité de leur passé, y compris la néfaste période soviétique.

La deuxième condition est que le gouvernement auquel on présente des excuses soit préparé à les recevoir et habilité à engager son pays sur le long terme. Là encore, l’analogie avec les excuses individuelles s’impose: il s’agit d’établir, sur pied d’égale souveraineté, une relation nouvelle.

Dans ces conditions-là seulement, les excuses peuvent avoir une raison d’être. En tant qu’elles débouchent sur une paix plus solide qu’avant, elles constituent un acte de souveraineté. A défaut, il vaut mieux adopter l’attitude arrogante de M. Mitterrand ou louvoyante de MM. Hollande et Cameron.

Le conseiller fédéral Kaspar Villiger, on se le rappelle, n’avait osé ni l’arrogance ni la duplicité. Présentant des excuses pour le comportement de la Confédération durant la deuxième guerre mondiale, il introduisait la division dans la Confédération. Il trahissait à la fois ses prédécesseurs, qui n’étaient plus là pour se défendre, et ses contemporains, qui n’y étaient pour rien.

De surcroît, il s’agissait d’excuses en l’air, adressées à tout le monde et à personne, à personne en tout cas qui pût les recevoir. En ce sens au moins, il avait quelque raison de qualifier d’«inexcusables» les actes pour lesquels il s’excusait.

Son idée était de «faire une fin», de solder le compte à tout prix pour repartir à zéro, d’un bon pied, vers l’avenir radieux. Idée bisounoursine fondée sur l’ignorance qu’il n’y a jamais de fin en politique. On ne repart jamais à zéro.

Même en temps de paix, les tensions entre les forces étatiques subsistent. La paix internationale résulte d’ailleurs principalement d’un équilibre, toujours précaire, entre ces tensions. Chaque fois qu’un Etat baisse sa garde ou recule, il crée un vide dans lequel les autres s’engouffrent, ne peuvent pas ne pas s’engouffrer. C’est le cas quand il se répand en excuses parce qu’il est trop faible pour résister aux pressions idéologiques, aux menaces de l’extérieur ou au «chantage», selon le mot, trop vite retiré, du conseiller fédéral Delamuraz.

A ce titre, les autres Etats auraient été en droit de lui reprocher ses excuses mêmes, comme une atteinte à l’équilibre international. Il aurait au contraire contribué à cet équilibre en ne s’excusant pas et en défendant avec intransigeance la mémoire de ses anciens.

Notes:

1 Les Etats-Unis ont fait des excuses aux descendants des esclaves noirs, mais, par la Chambre des Représentants, ont expressément exclu tout dédommagement financier.

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