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Lire Pierre Girard

Frédéric Monnier
La Nation n° 2024 7 août 2015

Pierre Girard est un écrivain né et mort à Genève (1892-1956), ville qu’il ne quitta guère, sinon pour de brefs séjours en Allemagne, en France et aux Etats-Unis. Il laissa son empreinte dans le Canton de Vaud en écrivant quelques poésies pour les Cahiers vaudois et comme librettiste de la Fête des Vignerons de 1927. C’est l’éditeur Vladimir Dimitrijevic qui, dans les années 80, sortit de l’oubli cet auteur injustement méconnu en publiant quelques ouvrages de lui dans la collection Poche suisse de L’Age d’Homme.

L’occasion nous est donnée d’évoquer Girard grâce à la réédition, cette année, d’un bref récit au titre pour le moins curieux et mystérieux, Charles dégoûté des beefsteaks, paru en 1944. C’est l’histoire d’un banquier genevois quelque peu austère, dérangé un jour dans son train-train quotidien par la vue, dans la rocaille où il affectionne de se retirer après le bureau, d’un lézard happant une grosse mouche; lors du dîner le même soir, Charles, obsédé par ce lézard, repousse le beefsteak, pourtant son plat préféré, que lui tend son domestique. Peu de temps après cet épisode initial, apparaît sur la terrasse de sa maison sa nièce Poppée, émergeant telle une naïade des eaux du Léman. Grâce à celle-ci, Charles découvre peu à peu une nouvelle vie et finit par renoncer à l’existence qu’il menait jusqu’alors, découvrant un autre moi: «Charles, le faible Charles, sourit. Dans l’aube poudreuse, les arbres du quai arrondissaient leurs coupoles. Il était venu quelquefois à Vevey, mais toujours pour les séances de la Nestlé. Alors, il sortait du train, tête basse, portant dans une serviette de cuir des papiers. Mais ce matin d’août, il ne donna pas une pensée à l’Anglo-Swiss. Il découvrait avec sur prise qu’à son insu il possédait des notions romantiques. Il les avait réprimées toute sa vie, mais elles revenaient au jour.»

On peut voir dans cette histoire une sorte de transposition romanesque de la situation de Girard lui-même, qui quitta le métier d’agent de change dans une banque peu après la rédaction de ce récit. On retrouve dans Charles dégoûté des beefsteaks tout ce qui fait l’originalité de l’écrivain genevois: un récit à la trame fantaisiste et déconcertante, des personnages vaporeux et mystérieux portant parfois des noms excentriques (ainsi M. de Hurleminet, voisin de Charles, ou le professeur Kühlpepper), un style tout de délicatesse, de légèreté et de raffinement, des phrases truffées de métaphores surprenantes, un goût du mot rare et poétique. C’est avec raison que l’on a pu rapprocher la manière d’écrire de Girard de celle de Giraudoux, écrivain qu’il pratiquait et appréciait, de même qu’il prenait son miel chez des auteurs aussi divers que la Comtesse de Noailles, Virginia Woolf, Paul Morand, James Joyce, Jean Paul ou Dickens; «de ces grands modèles», écrit Gertrude Nottaris dans sa préface à Amours au Palais Wilson, Editions L’Age d’Homme, «Pierre Girard a su s’approcher chaque fois qu’il s’agissait de leur emprunter le secret de tout dire sans appuyer, d’esquisser avec grâce, de transformer le banal quotidien en suggestions inattendues et en miracles avérés. Il s’est approprié audacieusement tous les procédés de la préciosité giralducienne, qu’il a su parfois adapter délicieusement au cadre genevois et helvétique».

Référence:

Pierre Girard, Charles dégoûté des beefsteaks, L’Arbre Vengeur, 2015.

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