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Pour le logement, un contre-projet

Olivier Klunge
La Nation n° 2024 7 août 2015

Poussé par le dépôt de l’initiative de l’ASLOCA «Stop à la pénurie de logements» qui vise en réalité à une étatisation du sol et de l’économie immobilière, le Conseil d’Etat vaudois a préparé un contre-projet à la fois plus consensuel et plus vaste.

Par expérience, il faut se méfier des contre-projets censés répondre aux attentes des citoyens signataires, tout en évitant les excès de l’initiative. Un contre-projet permet de faire passer les idées des initiants grâce au soutien très large d’une classe politique apeurée, celle-là même qui aurait combattu les principes libellés uniquement dans l’initiative. De plus, le contre-projet ne se borne pas, comme une initiative, à proposer au vote populaire un grand principe et quelques mesures générales pour le mettre en œuvre. Concocté par l’administration, il atténue certes le principe, mais détaille les mesures, en prévoit les mécanismes de mise en œuvre, ce qui aboutit à une centralisation et un report de compétences essentielles sur l’appareil étatique, au détriment du parlement.

Un récent exemple de ce phénomène est la révision de la LAT, qui prévoit une mise sous tutelle par l’administration fédérale des cantons et des communes de manière pérenne et détaillée, alors que cette loi était opposée à une initiative prévoyant uniquement un moratoire sur les nouvelles zones à bâtir pendant une durée de vingt ans. L’initiative avait peu de chances de trouver l’approbation populaire et même si cela avait été le cas, la loi d’application n’aurait certainement pas été plus restrictive que la LAT actuelle.

La Lex Weber (sur les résidences secondaires) offre l’exemple symétrique. Suite à l’adoption surprise de l’article constitutionnel sans contre-projet, la loi adoptée par le parlement a suffisamment édulcoré les principes de l’initiative pour que même les milieux immobiliers de montagne ne soutiennent pas le référendum.

Le droit de préemption: à rebours du bon sens

Il n’en va pas différemment avec la question de la promotion étatique du logement dans le Canton de Vaud. L’initiative est fausse sur le principe, puisqu’elle va à l’encontre du droit de propriété. Le Grand Conseil doit se garder de reprendre, même partiellement, cette idée néfaste de l’initiative uniquement par crainte de voir cette dernière adoptée par le peuple.

Notre crainte porte particulièrement sur l’introduction de droits d’emption et de préemption étatiques et communaux sur les propriétaires privés, idées défendues par l’ASLOCA et par tous ceux qui voudraient substituer l’Etat aux privés comme constructeurs et propriétaires de logements.

Le projet sorti de l’examen de la commission ad hoc du Grand Conseil, suivant le Conseil d’Etat, limite le droit d’emption des communes, sous la forme d’un choix laissé au propriétaire foncier lors du passage de son terrain en zone à bâtir: soit il accepte d’être soumis au droit d’emption s’il ne construit pas dans un délai de cinq à dix ans, soit il refuse la mise en zone et perd la possibilité de construire. Ceci semble acceptable au vu de l’importance de l’avantage financier d’une mise en zone et l’intérêt pour la commune (en particulier sous le régime de la nouvelle LAT) de voir ses zones à bâtir efficacement exploitées.

Il n’en va pas de même de la possibilité pour l’Etat et les communes de préempter tout terrain lors d’un transfert en dehors du cadre familial1. Il est frappant de voir que, d’après le rapport de la Commission2, personne ne trouve d’utilité concrète à un tel droit. Les milieux immobiliers le jugent nuisible, car ralentissant d’au moins deux mois les ventes et donc les procédures de construction et créant une incertitude sur chaque transaction. Les communes estiment de leur côté ce délai trop court par rapport au processus décisionnel pour en faire usage; l’ASLOCA le voit comme un tigre de papier.

Ce droit de préemption aura pour seul effet de ralentir et complexifier les transferts immobiliers dans les cas où un projet de construction rapide est justement probable. En effet, lorsqu’un bien-fonds est transféré hors du cadre familial, l’acquéreur entend rentabiliser son investissement au mieux, généralement en construisant ou rénovant dans les plus brefs délais.

La commission n’a pas eu le courage de rayer cette mesure malheureuse, au nom de la «nécessité pour le contre-projet de répondre aux préoccupations de la population». Ce faisant, elle répond surtout aux pressions du Parti socialiste, des Verts et de l’ASLOCA: «Plusieurs députés ont par ailleurs fait savoir que le droit de préemption était une proposition nécessaire à l’acceptation du projet de loi par leur groupe politique.» La population ne se préoccupe pas de savoir si les communes et l’Etat pourront ou non acquérir tel terrain. Elle demande des mesures efficaces contre la pénurie de logement.

Autres aspects de la réforme

Face à cette pénurie et, en particulier, à la pénurie d’appartements en location pour la classe moyenne, il est du rôle de l’Etat de s’interroger sur ses moyens d’action pour résoudre ce problème. En matière immobilière, comme dans tous les domaines où l’économie privée est active, le rôle de l’Etat est d’assurer des conditions cadres favorables, non de se substituer aux acteurs privés. L’Etat ou les communes ne seront pas des promoteurs immobiliers plus efficaces ou plus rapides que ne le sont les propriétaires privés, d’ailleurs souvent des institutions de prévoyance.

Parmi le «paquet logement» adopté par la commission avec peu de modifications par rapport au projet du gouvernement, nous saluons les efforts, certes timides, de simplifier les changements d’affectations de locaux et de limiter les contrôles sur les loyers, en particulier en matière de rénovation. Pourquoi cependant obliger les propriétaires à informer les locataires des répercussions des travaux sur les loyers au moment de la demande d’autorisation desdits travaux et non une fois ceux-ci terminés et les coûts connus, comme l’exige le droit du bail fédéral?3

Nous sommes également favorables à la création de la catégorie des logements à loyer abordable, parmi les logements d’utilité publique (à côté des logements subventionnés et protégés). Ces logements à loyer abordable ne sont pas subventionnés par les pouvoirs publics et sont construits par des acteurs privés. Ils doivent répondre aux besoins de la classe moyenne et bénéficient à ce titre d’un bonus constructif. Les communes peuvent exiger un quota pour ce type de logements lors de nouveaux plans de quartier.

Nous sommes par contre circonspects quant à la définition de ces logements à loyers abordables. Le contre-projet se contente d’évoquer quelques généralités consensuelles, laissant au Conseil d’Etat la compétence de fixer les «limites de loyers et de surfaces»4. Il s’agit là à nouveau d’un chèque en blanc pour l’administration, promettant chicaneries et directives techniques permettant, hors de tout contrôle politique, d’influencer profondément et durablement la pratique. La commission du Grand Conseil n’a pas même discuté de ce point.

La pression d’un comité d’initiative ne justifie pas une mauvaise loi. Une idée néfaste doit être combattue et non édulcorée dans un paquet législatif destiné à faire un geste en direction des initiants, en le rendant acceptable en votation populaire. Le courage politique et le principe de l’Etat de droit imposent de traiter dans la loi tous les aspects d’un domaine et de ne pas laisser l’administration décider d’éléments sensibles, hors de tout contrôle référendaire.

Notes:

1 La commission a d’ailleurs étendu le champ de l’exception, non seulement aux transferts entre époux ou partenaires enregistrés, mais aussi entre «concubins».

Cela constitue un précédent insolite et injustifié de reconnaissance institutionnelle d’une relation de couple qui la refuse précisément.

2 Rapport de la commission RC 169 du 1er juin 2015.

3 Article 6 projet de LPPL, RC 168 du 1er juin 2015.

4 Cette formulation est certes plus restrictive et plus pertinente que le projet initial que nous critiquions dans un précédent article (La Nation no 1997 du 11 juillet 2014).

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