Le général Guisan et le rapport du Grütli
Le 18 juin 1940 au soir, à la frontière de La Cure, un officier allemand entre en conversation avec deux homologues suisses. Les propos, tenus de part et d’autre de la frontière, sont courtois et marquent surtout une curiosité réciproque. Un incident survient lorsqu’un jeune soldat du Reich, ivre de ses conquêtes, avance un pied sur le sol helvétique en proclamant: «Das neunte Land!»
La défaite éclair de l’armée française effare tout le monde. Même Hitler est éberlué par la rapidité de ses troupes: lorsque Guderian annonce qu’il est à Pontarlier, le Führer, penché sur ses cartes d’état-major, croit qu’il est à Pontailler-sur-Saône. Le général doit confirmer qu’il est bien à Pontarlier dans le Doubs, à quelques encablures de la frontière helvétique.
Désormais la Suisse est encerclée par les forces de l’Axe. Cette situation soudaine n’a pas manqué de créer un vent de panique, tant dans la population civile qu’au sein des troupes mobilisées. Le discours maladroit du président de la Confédération Pilet-Golaz, prononcé juste après la signature de l’armistice de Compiègne, plombe encore l’atmosphère.
C’est dans ce contexte militaire et politique tendu que le général Guisan a une inspiration de génie: réunir dans un lieu hautement symbolique l’ensemble des officiers supérieurs pour leur tenir un discours bref, strictement militaire, qui leur donne des objectifs précis. La stratégie a changé et la défense des frontières a cédé le pas à la création du Réduit national, qui consiste à concentrer les forces militaires dans l’espace le plus aisé à défendre, les Alpes, afin de renforcer l’effet dissuasif de notre résistance en gardant la maîtrise des voies de communication, et en promettant leur destruction en cas d’invasion. Cette fermeté a redonné courage à toute la population.
Pour le 75e anniversaire de cette réunion légendaire, Jean-Jacques Langendorf a rédigé un ouvrage remarquable – disponible dans trois des langues nationales (français, allemand, italien). D’abord, c’est un très beau livre, de ceux qu’on a plaisir à tenir en mains, avec sa présentation soignée, sa documentation abondante. Ensuite l’auteur situe l’événement dans son contexte historique fédéral et international, remontant jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le style alerte et précis de Langendorf conduit le lecteur à réviser agréablement une bonne partie de l’histoire suisse du premier demi-siècle. Sorti de ces pages, on est renforcé dans l’idée que les autorités fédérales de l’époque, Minger, Etter, Pilet-Golaz, et le Général bien sûr, ont été à la hauteur de leur mandat et ont contribué activement à nous épargner de nous mêler aux folies de nos voisins.
L’ouvrage est épaulé par une exposition au château de Morges. Les documents et les objets présentés le complètent de manière tangible, dans le même ordre que la table des matières. Compter une bonne heure pour la visite de ce secteur du musée militaire.
Références:
Jean-Jacques Langendorf, Le Général Guisan et le Rapport du Grütli, Gollion, éditions Infolio, 2015, 224 p., 39.90 CHF Exposition Volonté et Confiance, jusqu’au 29 novembre, au château de Morges. Horaires sur le site www.chateau-morges.ch
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- † Jean-Jacques Rapin – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Champ de recherche «dépenses inutiles» – Pierre-Gabriel Bieri
- Hélie et Richie - Le héros et le petit marquis – Jacques Perrin
- Entendre l’appel vibrant de la patrie – Edouard Hediger
- Une trahison au festival d’Aix-en-Provence – Daniel Laufer
- Les investissements de l’Etat de Vaud – Jean-François Cavin
- Des veinards – Ernest Jomini
- Des Russes et des Rousses – Le Coin du Ronchon