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Une trahison au festival d’Aix-en-Provence

Daniel Laufer
La Nation n° 2025 21 août 2015

«D’abord décapités, puis pendus, puis empalés sur des pieux brûlants, puis voués au bûcher…»

Vous croyez lire un courriel menaçant de quelque djihadiste, non? Pourtant ce n’est que la seconde partie d’un grand air d’Osmin, l’exécuteur des basses œuvres de Selim Bassa, au premier acte de L’Enlèvement au sérail, de Mozart, air magnifique qui fait valoir la basse profonde de l’artiste, et dans lequel il brandit ainsi de terribles menaces contre ce chien de chrétien qu’est l’aimable Pedrillo.

M. Martin Kušej, directeur du Residenztheater de Munich, a eu l’idée originale de transposer l’Enlèvement dans le désert, théâtre des opérations de la guerre turco-britannique, mais où règne à la tête d’un Daech avant la lettre, imposant et pacifique, Selim Bassa. Comme on s’en souvient, il s’efforce en vain de conquérir les faveurs de la belle Konstanze, restée fidèle, dans le sérail islamique, au prince Belmonte.

Il en résulte une mise en scène assez belle: du sable et une grande tente militaire d’où sortent de temps à autre des soldats dignes des images que les chaînes de télévision nous servent tous les jours: armés jusqu’aux dents, le doigt sur la gâchette. C’est assez amusant, et l’on n’est guère ému, confiants que nous sommes dans la clémence de Selim Bassa. On écoute – rappelez-vous qu’il s’agit d’un Singspiel et non d’un opéra; comme dans une opérette, les dialogues parlés ont une large place – on écoute donc les conseils de Pedrillo à Selim: Belmonte pourrait lui fournir toutes sortes d’informations utiles quant à la prospection de champs pétrolifères. Fidèle à l’histoire que Mozart raconte dans sa merveilleuse partition, le metteur en scène est bien obligé de faire jouer son rôle à un Selim qui serait ici un renégat, converti à l’Islam, mais magnanime et généreux – ce qui est évidemment incompréhensible dans cette transposition. Mais quoi! le Pacha de Mozart est bien un homme des Lumières, et il sait la grandeur du pardon et le refus de la vengeance. Donc l’Enlèvement se termine (devrait se terminer) par le chœur des Janissaires qui célèbrent la clémence de Selim Pacha, tandis qu’Osmin est chargé de raccompagner aux frontières l’heureux quatuor.

Début d’applaudissements nourris.

L’Archevêché est subitement plongé dans la nuit, un instant. Puis dans le silence, les feux de la rampe éclairent le retour d’Osmin qui, glorieux, vient présenter à son maître les habits sanglants de ceux qu’il a proprement égorgés.

Je ne suis certes pas le seul à avoir sifflé cette scène abominable.

Notes:

PS. Aux dernières nouvelles, on apprend que cette dernière scène (après que d’autres, pires encore, ont été supprimées, qui justifiaient la mise en place d’un important déploiement des forces de l’ordre… à l’Archevêché!) a été elle aussi supprimée sur l’intervention de M. Foccroule, directeur du Festival, et avec l’accord de M. Kušej. A la bonne heure! 

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