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Les investissements de l’Etat de Vaud

Jean-François Cavin
La Nation n° 2025 21 août 2015

Grande nouvelle diffusée début juillet: l’Etat de Vaud va investir plus de 5 milliards d’ici 2020. 24 heures titre donc: Le rythme de croisière de l’Etat est d’investir 1,2 milliard par an. Chiffre mirifique! Quel soulagement pour ceux qui craignaient le sous-équipement du Canton! Et quel étonnement aussi, quand on lit que c’est la confirmation d’une stratégie qui dure depuis cinq ans déjà, alors que l’effort de modernisation semblait bien moindre… Il vaut donc la peine de regarder de plus près, et d’abord en opérant un bref retour en arrière.

Quinze ans d’insuffisance

Les dépenses d’investissement cantonales, qui montaient normalement à quelque 300 millions il y a trente ou quarante ans, sont tombées beaucoup plus bas au XXIe siècle: en moyenne annuelle sur les quinze dernières années, le Canton a investi 208 millions contre 264 au budget. Ce dernier n’a été dépassé qu’une seule fois, de 4 petits millions en 2010.

A titre de comparaison, en 2013, les dépenses d’investissement de l’ensemble des cantons totalisaient 6,7 milliards, représentant en moyenne 826 francs par habitant. Pour le Canton de Vaud, cette même année: 340 francs par habitant. Portez l’investissement à 300 millions comme en 2014: 408 francs par habitant, la moitié de la moyenne suisse! Cela alors que notre canton est un des plus larges pour la dépense courante: troisième de la Confédération, derrière les cantons purement citadins de Bâle-Ville et Genève. Il convient certes de manier les comparaisons intercantonales avec prudence, mais au vu d’un tel écart, le constat est accablant.

Pourquoi?

Ce sous-investissement a été parfois excusé par le retard pris dans certains travaux; motif qui serait plausible pour un an ou deux, mais pas sur quinze exercices, le retard d’une année se répercutant alors sur les suivantes. Nous voyons plutôt l’explication dans trois causes politiques: la volonté de résorber la dette sans restreindre – bien au contraire! – le ménage courant (c’est le pacte radical-socialiste); l’inertie des magistrats verts qu’on a imprudemment placés à la tête des Travaux publics; et peut-être un manque de planification, durant plusieurs années, des équipements nécessaires en regard de la croissance démographique.

Le retard

Nous ne saurions énumérer en détail tous les projets en souffrance. Bornons- nous à citer trois domaines où l’insuffisance est patente.

L’exécution des peines, d’abord. Les prisons débordent et il ne serait pas surprenant qu’on renonce à incarcérer des délinquants faute de place. Le Bois-Mermet est surpeuplé, à un point qui frise le scandale. Des travaux très importants doivent être entrepris à Bochuz. Un plan d’ensemble des besoins pénitentiaires est à l’étude; on doit s’attendre à des dépenses considérables, la cellule étant plus chère qu’une chambre de palace.

Du côté des gymnases, on a l’impression d’être toujours en retard d’un établissement. Il a fallu bricoler dans l’Ouest lausannois. Aujourd’hui, Burier explose. Le projet d’une nouvelle construction à Aigle est en attente.

S’agissant des voies de circulation, les autoroutes sont certes maintenant à la charge complète de la Confédération; mais on subit actuellement entre Lausanne et Genève – et on subira encore longtemps – les effets de l’aveuglement du Conseil d’Etat d’antan qui, dans le Plan directeur cantonal, refusait d’élargir la N1 et de développer le rail: la mobilité, sous toutes ses formes, c’était l’ennemie aux yeux de l’idéologie dominante. Quant aux routes cantonales, qui nous intéressent maintenant, le tableau est sombre, avec un engorgement quotidien dans le district de Nyon, dans l’Ouest lausannois, sur la Riviera. Plus de 60 millions annuels sont consacrés aux routes; il en faudrait bien davantage.

Si l’on mentionne de surcroît les grands projets en vue, dans le domaine hospitalier au CHUV, à Cery et ailleurs, à l’Université pour 250 millions, pour créer un «campus santé» au prix de 140 millions, pour installer sous les talus de la gare un «pôle muséal» à 187 millions, et l’on en passe, on voit qu’il y a du pain sur la planche.

Un certain brouillard

Réjouissons-nous donc que le réveil sonne; l’exercice 2014 a déjà montré un certain redressement; le budget 2015 va encore plus loin, avec 421,5 millions. Mais des questions demeurent.

D’abord, les communications officielles privilégient l’investissement brut (avec subventions fédérales s’il y en a), et même l’engagement total de l’Etat y compris les prêts et les garanties. C’est en retenant ce total maximal qu’on arrive à plus d’un milliard annuel. Les crédits nets de l’Etat n’en représentent que la moitié (pour la période allant de janvier 2011 à juillet 2015: 5,44 milliards au total, 2,67 milliards de crédit nets).

Ensuite, il faut lire exactement ce qu’écrit le Conseil d’Etat: Depuis 2011, l’Etat a adopté des crédits d’investissement qui avoisinent 5,5 milliards de francs. Or l’utilisation de ces crédits peut s’échelonner sur de nombreuses années; tout cela se dilue dans le temps. Le chiffre ne correspond nullement, même pour la seule part de l’Etat, à la dépense nette effective, toujours inférieure d’une cinquantaine de millions aux annonces budgétaires et qui n’a guère dépassé 1,2 milliard pour toute cette période quinquennale.

Comme on voit, il est malaisé de mesurer exactement l’effort d’investissement, si l’on se réfère aux affirmations officielles qui jonglent avec des notions disparates. Un plaisantin inconnu, qui mérite le Nobel de la contrepèterie, a dit que nous sommes gouvernés par MM. Brouillard et Malice. Le brouillard, on l’a vu, résulte de l’enchevêtrement des données; la malice, bien sûr, consiste à mettre l’accent sur les chiffres les plus spectaculaires.

En réalité, et jusqu’à plus ample informé, on peut encore craindre que l’investissement, s’il reste comme indiqué au niveau des cinq dernières années, demeure insuffisant. Mais on ose espérer que, de cet embrouillamini de chiffres, sortira la volonté, amorcée en 2014 et 2015, de préparer plus solidement l’avenir du Canton. Il pourrait abriter 100 000 à 150 000 habitants de plus dans une quinzaine d’années; il faut s’équiper en conséquence pour le bien-être de notre population, de notre jeunesse en formation, de nos malades, de nos pendulaires, pour une incarcération décente de nos détenus et pour l’agrément des touristes que nous voulons séduire.

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