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Le technocrate sur la comète

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2028 2 octobre 2015

La «Stratégie énergétique 2050» a pour but de sortir la Suisse de l’énergie nucléaire, mais aussi, dans la foulée du protocole de Kyoto, des énergies fossiles. Trois étapes sont prévues. La première devrait être mise en œuvre en 2020. Les Chambres fédérales en débattent actuellement. On évoque déjà un référendum, notamment du côté écologiste. La deuxième étape devrait entrer en vigueur en 2035, la troisième en 2050.

Les moyens? La réduction de la consommation globale d’énergie, l’optimisation de la production hydraulique et l’augmentation fortement subventionnée (achat au prix coûtant) des énergies renouvelables.

Les moyens des moyens? L’augmentation du prix des énergies fossiles (fiscalité «écologique»), l’amélioration générale de l’efficacité énergétique, l’assainissement des bâtiments – ce qui priverait les cantons de leur compétence en la matière –, la modernisation du réseau de distribution d’électricité, l’installation de «compteurs intelligents», l’accélération des procédures d’autorisation concernant la construction d’installations d’énergies douces (éoliennes, biomasse, etc.), entre autres.

La lecture du «Message relatif au premier paquet de mesures de la Stratégie énergétique 2050» du 4 septembre 2013 engendre un malaise qui croît de page en page (il y en a 200). On plonge dans un enchevêtrement sans fin de détails techniques et de prescriptions administratives. Peu à peu, le sentiment s’installe que les ingénieurs et les juristes qui ont conçu le document ont certes pensé à tout… mais qu’ils ont réduit ce tout, c’est-à-dire aussi les personnes, les entreprises, la société tout entière, à la question énergétique.

Ils n’imaginent pas que le peuple et les cantons pourraient rejeter le paquet, ni qu’un citoyen, soucieux de ses intérêts, pourrait ne pas se conformer à leurs incitations. Ils n’imaginent pas non plus que lesdites incitations pourraient déclencher des effets imprévisibles, voire aller à fins contraires. Ils font comme si leur texte était définitif, comme si les instruments de contrôle étaient parfaits, comme si les contrôleurs étaient des saints. Ils font comme si les progrès techniques étaient linéaires, prévisibles et maîtrisables. Pour eux, je veux dire pour ceux qu’il faut bien appeler des technocrates – c’est-à-dire des experts qui gouvernent –, l’avenir ne peut être qu’une extrapolation mécanique du passé récent.

On ne peut s’empêcher d’évoquer les «conceptions globales» produites au début des années huitante par une administration fédérale particulièrement prolifique: la conception globale des médias, la conception globale des transports, la conception globale de l’énergie. Un de nos amis chargé d’étudier cette dernière, avait commencé par la peser: 3,7 kilogrammes de papier, si sa mémoire est bonne!

Il fallut peu d’années pour se rendre compte que les auteurs de ces énormes pavés avaient eux aussi tout prévu, sauf ce qui s’est vraiment passé.

En 1998, l’Office fédéral de l’environnement publiait la «Conception paysage suisse», autre monument de planification administrative totale, centralisée et autoritaire. C’était l’œuvre de M. Philippe Roch, qui fut aussi un inspirateur actif de l’initiative Ecopop. La rationalité bureaucratique peut couvrir les dérives idéologiques les plus effarantes.

La «Stratégie énergétique 2050» s’inscrit dans la ligne exacte de ces illustres devanciers. Tout au plus sa partie législative et contraignante est-elle plus importante.

Il ne faut pas en vouloir aux auteurs du texte. Ils ne sont devenus des technocrates que par la carence des politiques, qui se contentent de tirer des plans sur la comète et s’en remettent pour le surplus à leurs services et à leurs experts. Cette carence est même telle que le Message ne fait pas la moindre allusion au fédéralisme et à la souveraineté suisse. Ces deux éléments constitutifs de l’alliance helvétique sont pourtant directement menacés par la mondialisation des échanges et par la dépendance énergétique actuelle et future qui en résulte. Qu’adviendra-t-il de la Suisse, de son indépendance et de sa défense armée si son approvisionnement énergétique est réduit ou interrompu par des acteurs extérieurs? Et que se passera-t-il si le prix du kilowattheure importé continue d’être aussi bas qu’aujourd'hui, menaçant de faillite l’ensemble de nos producteurs d’énergie hydraulique? Ces questions cruciales ne sont jamais affrontées.

Nous n’allons pas reprocher aux auteurs d’un Message paru en 2013 de ne pas parler de la votation du 9 février 2014, qui a durci nos relations avec l’Europe et menace les accords bilatéraux, ni de la suppression en janvier 2015 du taux plancher qui entrave notre effort économique et induit les Suisses à acheter leur carburant à l’étranger, ni du rejet en mars 2015, par plus de nonante pour cent des votants, de l’initiative proposant de remplacer la TVA par une fiscalité écologique, ni des bisbilles sur l’Accord- cadre qui doit être signé avant que l’Union n’accepte de négocier l’accord sur l’électricité, ni de l’accélération extraordinaire de l’immigration déclenchée il y a quelques semaines par Mme Merkel et qui, si elle se poursuit, modifiera en profondeur notre manière de vivre.

Mais nous leur reprochons d’avoir fait preuve de myopie volontaire et d’orgueil en niant cette évidence que la politique est principalement faite de tels événements, lesquels échappent par définition à toute conception, si globale soit-elle.

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