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† Henry Bercher

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2028 2 octobre 2015

Mince, très droit, imperturbable, moustache et pipe, chemise grège à poches, short colonial, Henry Bercher semblait toujours revenir à l’instant d’un safari aux Indes orientales, ou sortir tout droit d’une biographie de Baden Powell.

Il incarnait l’anarcho-réactionnaire dans toute sa splendeur bougonnante. Autant il se soumettait avec bonheur à l’ordre vital des traditions et des mœurs – familiales, scoutes, religieuses et, bien sûr, vaudoises –, autant il haïssait l’ordre abstrait, mécanique et chicanier du droit et des règlements. En particulier, il considérait le Code de la route comme un complot tramé personnellement contre lui, au mieux comme un canevas assez vague sur lequel il brodait à sa guise, dépassant les voitures à droite ou en troisième position quand sa patience était à bout. Et dans ce domaine, sa patience était toujours à bout, au point qu’un jour, les freins exténués de sa guimbarde rouillée ayant lâché, il tamponna une voiture de la police… dont il se mit immédiatement à invectiver les conducteurs, mal parqués selon lui.

A ses yeux, le système du rondpoint, souple et réaliste, représentait la civilisation des hommes libres face à l’imbécile feu rouge, générateur de pollution, de files moutonnières et d’attentes vides. Il s’en fit le héraut longtemps avant qu’on l’introduise chez nous.

Il n’acceptait pas que l’UBS, son employeur, prétende lui interdire de consommer du vin durant le repas de midi lors des séances de post-formation qu’il devait suivre Outre-Sarine. Il avait donc obtenu de son médecin une ordonnance lui prescrivant les deux décis nécessaires à sa bonne santé. Je crois qu’en fait, c’était l’idée même d’interdiction qu’il ne supportait pas, en particulier de la part de gens qui avaient, comme il disait, «le casque à l’intérieur de la tête». Abstinent, il aurait probablement quand même commandé du vin à cette occasion, simplement pour le principe.

Le bruit courait que son emploi du temps à l’UBS était divisé en trois parts égales: l’une consacrée à la Maison de Crêt-Bérard – dont il présida longtemps l’Association des Amis –, la seconde à la brigade des éclaireurs du Vieux-Mazel qu’il conduisit durant trente et un ans, et la dernière à la Ligue vaudoise et à La Nation.

Il prenait (ou feignait de prendre) des airs supérieurs face à nos débats intellectuels qu’il jugeait, dans la droite ligne de ses amis et prédécesseurs du Vieux-Mazel, oiseux, pas très virils et, finalement, trop éloignés de la vraie vie.

Cette posture anti-intellectualiste ne l’empêchait pas de réfléchir constamment à ce qui serait bon pour le Canton en général et pour la Ligue vaudoise en particulier. De temps en temps, il tirait de ses ruminations quelque sentence décisive, lentement énoncée, entrecoupée de «pâââ…» destinés à bien enfoncer l’idée dans la cervelle de son vis-à-vis. Ses remarques n’étaient pas toujours agréables à entendre, mais, en bon scout, il ne voyait pas pourquoi la vérité devrait prendre des gants.

A la mort de M. Regamey, il mit à notre disposition une vieille et poétique maison en dessus de Chardonne où nous pûmes examiner sereinement la situation et décider ce qu’il fallait faire pour continuer. Depuis lors, c’est là que, chaque année, nous passons une nuit et un jour de novembre à préparer l’année politique qui arrive.

C’est à ce non-intellectuel proclamé que La Nation doit de vivre aujourd’hui encore d’une façon autonome. Il envoyait un abonnement à l’essai à toute personne nommée à quoi que ce soit dans le Canton, directeur scolaire, officier de l’armée suisse ou greffier communal, ainsi qu’aux correspondants occasionnels de «M. le Rédacteur». Deux ou trois fois par année, il organisait, précédée par la lettre incitative d’un notable proche, une campagne de La Nation destinée aux habitants d’une région, aux membres d’une profession, aux personnes concernées par un article de fond ou de circonstance. Durant plus de vingt ans, il consacra des heures à peu près quotidiennes à ce labeur, relançant constamment la machine, secouant son réseau de collaborateurs. J’insiste: nous lui devons des centaines d’abonnements.

Là encore, la fidélité n’était pas un élément de morale abstraite, mais la pratique obstinée d’un effort qu’il jugeait nécessaire et que ni le temps ni les soucis personnels ne pouvaient éroder. Aucun mouvement politique d’opposition ne peut tenir le coup sans de tels hommes. Ils en sont les piliers. Nous disons toutes nos condoléances à sa famille et particulièrement à son fils, notre ami et collaborateur Olivier Bercher. Nous perpétuerons sa mémoire.

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