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Un accord avec l’Indonésie

Félicien Monnier
La Nation n° 2167 29 janvier 2021

Contre-poids libre-échangiste à l’Union européenne, l’Association européenne de libre-échange (AELE) ne réunit aujourd’hui plus que le Royaume de Norvège, l’Islande, la Principauté du Liechtenstein et la Confédération helvétique. La question d’une ré-adhésion du Royaume Uni à la suite du Brexit est encore ouverte.

Au travers de l’AELE, la Suisse est liée par vingt-neuf accords de libre-échange. Deux importants accords bilatéraux nous lient en outre à la Chine et au Japon. La perspective d’une adhésion de la Suisse au Mercosur (accord avec les pays d’Amérique latine) est vraisemblablement enterrée. L’accord avec les USA est un serpent de mer occupant notre diplomatie depuis des décennies.

Le 7 mars, nous voterons sur l’accord de partenariat économique de large portée conclu entre les Etats de l’AELE et la République d’Indonésie. Malgré cette dénomination et une particularité relative à l’huile de palme, il s’agit d’un accord de libre-échange assez classique.

Si les premières discussions remontent à 2004, les négociations ont formellement duré de 2011 à 2018. Elles furent, en Suisse plus qu’ailleurs semble-t-il, marquées par de nombreuses et importantes interventions des Chambres et des organisations corporatives, centrées sur la problématique de l’huile de palme. D’une part, nos agriculteurs voyaient dans celle-ci un concurrent possible à la production indigène de colza et de tournesol; d’autre part, ils supportaient mal la possible concurrence d’un produit cultivé dans des conditions écologiques désastreuses alors qu’eux-mêmes sont soumis en la matière à une réglementation très pointilleuse.

Le Conseil national accepta la motion du Vaudois Jean-Pierre Grin demandant l’exclusion complète de l’huile de palme de l’accord. Les Cantons de Genève et Thurgovie intervinrent dans le même sens. A la voix prépondérante de leur présidente, les Etats ne donnèrent pas suite et adoptèrent la motion de leur Commission de politique extérieure. Nos diplomates aboutirent donc au compromis qui donne à l’accord avec Jakarta son originalité.

L’importation d’huile de palme indonésienne ne sera possible à des tarifs douaniers préférentiels qu’à hauteur de 12'500 tonnes par année, et pour autant que l’huile importée respecte des critères de durabilité définis dans quatre labels retenus par le Conseil fédéral. A cette fin, il a déjà édicté un projet d’ordonnance1. Le vétillisme de l’administration fédérale, combinant les efforts du SECO et de l’Office fédéral de l’environnement, sera le principal et bureaucratique garant de ce mécanisme.

Ces 12'500 tonnes représentent un peu moins de la moitié du volume annuel d’importation d’huile de palme en Suisse (32'000 tonnes), toute provenance confondue. Le volume importé annuellement d’Indonésie s’élevait ces dernières années à 811 tonnes, soit 2,5% du volume total. Le reste provient pour la plus grande part de Malaisie. D’un point de vue suisse, l’accord ne change en réalité pas grand-chose: pour exporter à moindre coût, les Indonésiens doivent faire des efforts de production. Cela ne devrait pas occasionner de pression sur les huiles de colza et de tournesol. Au mieux, il faut espérer qu’un report de marché intervienne de la Malaisie à l’Indonésie, économiquement incitée à respecter l’environnement.

La question de l’huile de palme nous semble dès lors avoir été réglée à satisfaction; reste cependant le principe. Dans la configuration particulière de la Suisse, le libre-échangisme pose un problème de fond récurrent. Nécessaire à notre industrie d’exportation, il se fait trop souvent au détriment de notre agriculture, entraînée souvent malgré elle dans la danse. Les paiements directs dont bénéficient les paysans suisses ne servent à rien d’autre qu’à compenser la concurrence des produits étrangers, plus ou moins librement importés. Contre l’idéologie libérale, seule l’écologisme parvient aujourd’hui à imposer le recours aux frontières et aux contrôles. L’opposition des seuls paysans à l’huile de palme n’aurait sans doute pas suffi; il fallut l’extinction des orangs-outans. Dans le même registre, la haine de l’opinion publique pour le président Bolsonaro aura sans doute beaucoup fait dans le naufrage européen du Mercosur. Il n’est cependant pas acceptable que nos paysans ne soient pas directement rémunérés par leur propre activité. Ils sont des indépendants, pas des fonctionnaires-paysagiste-jardiniers.

L’accord avec l’Indonésie fait-il peser sur notre agriculture une menace telle qu’il conviendrait de le rejeter? Nous pensons que non. La production agricole indonésienne, centrée autour du riz, du café et du thé, n’est pas concurrente de la nôtre. Les tissus industriels suisses et indonésiens sont pour leur part si différents que nous avons peu à craindre. On pourra naturellement regretter que cet accord favorise la filière du textile asiatique. La faiblesse de ses coûts de production contribue au développement chez les jeunes générations occidentales du consumérisme vestimentaire qui uniformise nos rues. Le phénomène est malheureusement au moins aussi culturel qu’économique. Et n’est surtout pas nouveau.

Le libre-échangisme doit être préféré à l’adhésion à quelque organisation économique supra-nationale au droit évolutif. On ne peut à ce titre qu’avoir un peu d’affection pour l’AELE, sorte de ligue européenne des non-alignés. D’autant plus que l’UE envisage à son tour de négocier un accord avec l’archipel. Il est heureux que la Confédération ait pu prendre les devants sans avoir à se contenter d’une version simplifiée d’un traité conclu entre Jakarta et Bruxelles. L’accord avec l’Indonésie est en outre résiliable dans les six mois par chacune des parties. Nous voterons OUI.

Notes

1    Ordonnance sur l’importation au taux préférentiel d’huile de palme de production durable en provenance d’Indonésie.

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