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Occident express 74

David Laufer
La Nation n° 2167 29 janvier 2021

Une jeune actrice belgradoise, qui comme beaucoup de sa génération a trouvé fortune en Russie, a récemment accusé de viols répétés un acteur connu, directeur d'une académie dramatique. La presse dominicale s'est emparée du sujet et les médias sociaux ont saturé durant tout le week-end. Avec la prévisibilité d'une marée océanique, les appels à un rassemblement ont très vite apparu. C'est ainsi que, dans quelques jours, une foule se retrouvera devant le Parlement, ou devant l'Académie des Beaux-Arts, ou devant le Gouvernement, c'est l'unique inconnue. Pour le reste, tout est couru d'avance selon un schéma rodé comme une vieille voiture: les organisateurs recevront les quelques dizaines de participants (on fait ce qu'on peut avec ces températures négatives) avec des porte-voix et un grand calicot. Puis on se mettra en marche vers un but déclaré, le plus souvent le Parlement, bien encadrés par la police et sous le regard las des passants et des journalistes de piquet. Le premier mois de l'année n'est pas achevé que l'on compte déjà deux rassemblements de ce genre; le premier était contre la pollution atmosphérique. Rien que l'an dernier, nous avons été appelés à manifester contre l'installation d'une fontaine en vieille ville, contre la coupe de quelques arbres dans le parc de la forteresse, contre un projet de téléphérique d'une rive à l'autre de la Save, pour obtenir des élections, contre les résultats de ces élections, contre la gestion de la pandémie, pour soutenir le personnel médical en pleine pandémie, contre l'érection d'un monument devant la gare, contre la quarantaine, contre la nomination d'un évêque, pour célébrer la mémoire du Patriarche mort du covid. Les manifestations contre le nouveau quartier Belgrade Waterfront ont, en basso continuo de ce phénomène, rassemblé des foules tous les samedis après-midi pendant plus de deux ans. Comme beaucoup d'aspects de la vie en Serbie, ces manifestations sont tragi-comiques – parce qu'elles ne servent à rien. Il est facile de laisser s'échapper un petit rire narquois en voyant ces petites foules piétiner sous ma fenêtre, répétant sans conviction les slogans du premier rang, échangeant des bonnes histoires et agitant des petits écriteaux. On devine les habitués, ceux qui sont abonnés à l'exercice parce que c'est une occasion sociale. Et tout est oublié dès le lendemain matin. Au plus, un ministre y aura fait mention dans une petite déclaration et se fendra même si nécessaire d'un communiqué officiel. Mais quel que soit le gouvernement, les manifestants passent et rien ne change. Et pourtant, rien ne semble entamer leur détermination. La Serbie n'est peut-être pas démocratique au sens le plus complet du terme, il y manque encore de la patine. Mais les Serbes sont indiscutablement démocrates. Ils sont pénétrés de leur dignité collective et de leurs droits individuels. La presse est moribonde et vendue aux annonceurs? Le gouvernement est inefficace et corrompu? Il manque des budgets pour presque tout? Même si le procédé est démodé et inutile, même si les gens se moquent dans leur majorité de ce qu'on y défend, même si personne n'y fait plus vraiment attention, il reste la rue, il reste ces voix .

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