Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Valeyres 2021

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2185 8 octobre 2021

Cet été, le camp de Valeyres eut lieu pour la septante-septième fois. En 1945, Marcel Regamey avait réuni pour deux semaines quelques étudiants autour des cadres de la Ligue vaudoise. La petite équipe se retrouva dans le manoir récemment acquis à Valeyres-sous-Rances par Alphonse Morel, avocat converti à la vigne. La légende a retenu que le manque d’infrastructures contraignit un hôte du château à dormir dans une peau de lion.

Nous quittâmes Valeyres ensuite de l’édition 1995. Après quelques années de vagabondage, le camp s’est durablement implanté à Vers-l’Eglise, aux Ormonts. L’éventualité d’un changement de nom est malicieusement sans cesse repoussée.

Nous sommes donc en 2021. Le programme de chaque journée est soutenu. Après les travaux du matin en faveur de la commune, un instant de musique lance l’après-midi. Il fallait un avant-goût aux deux premières «grandes conférences» consacrées entre autres à la liturgie du sacre des rois anglais. On écouta donc, de Haendel les quatre hymnes du couronnement et la Water Music, de Purcell la Musique pour les funérailles de la reine Mary. Le dimanche après-midi, un ami est monté nous présenter l’opéra Platée de Rameau. Il y eut même du champagne à l’entracte.

Nous n’avions plus parlé depuis longtemps du régime monarchique, de ses principes et de ses symboles. Sur deux soirs, nous évoquâmes les principes d’unité de la personne, de distinction du temporel et du spirituel. Nous relûmes, chez Aristote, les différences entre les régimes monarchique, démocratique et aristocratique. L’assistance découvrit combien coutumes et traditions limitent le pouvoir du prince, sans être des «contre-pouvoirs» au sens moderne.

Quelques jours plus tard, un participant nous détailla la constitution du Liechtenstein. Il donna aux discussions des premiers soirs une soudaine et saisissante actualité.

Deux soirées furent consacrées aux «problèmes de la Chrétienté». On commença par établir qu’il avait existé, et existe encore, des chrétientés différentes. Puis on s’attela à en distinguer la notion de celle de civilisation «occidentale», «judéo-chrétienne», ou même «vaudoise». Les restes de chrétienté que nous connaissons en Europe ne sont que le pâle reflet de ce que connut notre continent au XIIIe siècle. Mais il ne faut pas plus désespérer que céder à la tentation sectaire. Les civilisations ont des cycles de décadence autant que de renaissance. A son niveau, l’homme conserve son libre arbitre qui lui permet d’attendre, sinon de créer, l’éclosion espérée.

Un ami nous présenta les causes historiques de la récente guerre dans le Haut-Karabagh. Il nous montra combien les déportations dues à la folie stalinienne ont profondément déséquilibré l’Asie centrale. Le monde en supporte aujourd’hui encore les conséquences.

Toute idéologie a une histoire. Un participant s’attacha donc à rejouer l’éclosion de la modernité. Il s’appuya sur la Crise de la conscience européenne: 1680-1715, de Paul Hazard. Quels rouages politiques, théologiques, scientifiques et moraux, furent-ils à l’œuvre dans les dernières années du règne de Louis XIV? Comment cette période forgea-t-elle les esprits pour qu’ils empruntent la route de 1789?

Comme chaque année, les prétendus «petits sujets» de l’après-midi firent écho aux préoccupations des jeunes générations. Au fil des jours ils construisirent les éléments d’un discours général transcendant les questions particulières. Une participante nous présenta l’art brut. L’assistance se trouva immédiatement projetée au cœur des choses: est-ce beau? doit-ce être beau? La folie est-elle encore de la création? Le marginal exposé est-il toujours un marginal?

Un participant nous donna une définition de la décroissance. Un autre plaida pour une conception non mythifiée de l’informatique. Leurs propos s’accordaient sur la nécessité de conserver la maîtrise non seulement individuelle, mais politique, de l’innovation technologique. Comme pour prolonger ces réflexions, nous discutâmes longuement des stratégies de marché reposant sur les réseaux sociaux. Enfin, un sujet dévolu à la conclusion de contrats par des machines montra que les anciennes solutions du droit romain étaient toujours d’actualité.

On parla encore de démographie vaudoise, du mouvement des Hussards, du Brexit, du contrôle abstrait des ordonnances fédérales, de la Mission de Bâle au XIXe siècle…

Après deux semaines, tout le monde est redescendu. En retrouvant «les vains bruits de la plaine» chacun réalise avoir vécu des heures uniques: dans la forêt du Creux-de-Champ lors des travaux, dans le cœur du temple de Vers-L’Eglise pour l’office du soir. Au-delà des discussions animées et des intuitions confirmées, le génie du camp de Valeyres réside dans la communauté qu’il recrée chaque année.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: