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Eloge de la répression

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2185 8 octobre 2021

Le Conseil d’Etat a présenté son plan de lutte anti-drogue pour les cinq prochaines années1. Il conserve les trois piliers traditionnels, soit la prévention, la répression et la thérapie, ainsi que le «pilier» ambigu de la «réduction des risques»2.

Dans son édito de 24 heures du 14 septembre dernier, Politique de la drogue, la répression est le pilier de trop, M. Jérôme Cachin s’indigne de ce que le Conseil d’Etat continue de croire à la répression: «Le monde entier engloutit des milliards dans une lutte utopique contre les drogues», écrit-il. Un peu plus bas, il parle des «très coûteuses chimères de la stratégie répressive».

L’«échec de la répression» est loin d’être aussi évident que ne le proclament en boucle les partisans de la dépénalisation complète. Bien entendu, la menace pénale à elle seule ne dissuadera jamais le consommateur invétéré, ni le dealer impécunieux. Et les partisans de la répression savent parfaitement qu’elle n’a d’efficacité qu’en composition avec la prévention et la thérapie. C’est en ce sens que le Conseil d’Etat tient à «coordonner le volet répressif avec les composantes préventive et sociosanitaire»3.

La répression pénale pose un cadre clair et contraignant. Elle manifeste à chaque étape – production, transformation, distribution, vente et consommation – et à chaque niveau – police, tribunal et prison – la désapprobation de principe de la société à l’égard des drogues. A côté de l’information sanitaire et des consignes de prudence, cette désapprobation institutionnelle participe elle aussi de la prévention. Le bâton répressif de Mme Métraux accompagne opportunément la carotte pédagogique de Mme Amarelle.

Si la répression pénale n’impressionne guère le toxicomane, elle peut en revanche retenir le consommateur éventuel ou occasionnel. Cet effet bénéfique est insaisissable, car, par la force des choses, le consommateur dissuadé n’apparaît pas dans les statistiques. Il reste qu’à l’inverse, les tentatives historiques d’établir un espace libre de la drogue, comme le Platzspitz, de sinistre mémoire, ou la Kleine Schanze, ont montré que la consommation de drogue croissait – on devrait dire «explosait» – en proportion de la décroissance de la répression et de la facilité de se procurer des stupéfiants. Il est correct d’en inférer que le cadre pénal joue un rôle dissuasif.

Pourquoi la critique porte-t-elle toujours sur la seule répression? Après tout, on pourrait tout aussi bien dénoncer l’«échec de la prévention» – au vu du nombre des nouveaux consommateurs – ou encore l’«échec de la thérapie» – les toxicomanes durablement sortis d’affaire n’étant pas la majorité. En un mot, si l’on se place du point de vue de l’éradication totale du problème, on doit parler d’un échec général de la politique de la drogue.

Mais on peut aussi, à l’inverse, s’émerveiller devant des réussites occasionnelles, des abstinences supportées, des stabilisations prolongées, des réhabilitations durables, voire définitives.

Les opposants à la répression sont des idéalistes. Ils veulent régler complètement et définitivement la question. Alors, ils imaginent ce que serait un monde d’où la répression aurait disparu: une production maîtrisée par l’Etat; de la drogue de première qualité; pas de distribution avant l’âge de raison; une vente à des prix «équitables», empêchant les caïds de la drogue de faire fortune sur le dos des cultivateurs afghans ou latino-américains; une consommation modérée cadrée par des conseils de prévention et accompagnée de thérapies douces; enfin, des rentrées fiscales énormes permettant d’huiler la machine à rêves. Dans cette perspective paradisiaque, qui est celle du Meilleur des mondes, la répression, avec sa brutalité simpliste et aveugle, n’a effectivement pas sa place.

Meilleur, ce monde illusoire ne le resterait pas longtemps. Le prix de la drogue, abaissé par souci d’égalité, susciterait un nombre croissant de consommateurs; la chaîne de production contrôlée par l’administration n’empêcherait pas l’apparition de cartels parallèles fournissant des produits sauvages, coupés de mille façons et encore meilleur marché; les cultivateurs du tiers-monde continueraient d’être exploités; les petits revendeurs continueraient de rôder autour des écoles; des nouveautés encore plus toxiques et addictives appâteraient la frange la plus transgressive des consommateurs.

La répression réapparaîtrait alors pour combattre les cartels illégaux, leurs produits, leurs barons et leurs dealers. Ses résultats seraient, forcément, décevants. Et à nouveau, les partisans de la dépénalisation totale qui, comme tous les idéalistes, n’apprennent jamais rien, dénonceraient l’«échec de la répression». Et on recommencerait le même théâtre, juste un étage plus bas.

Notes:

1  La prévention scolaire sera renforcée; tout policier pourra prononcer une interdiction de périmètre contre un délinquant pris en flagrant délit; l’Etat participera aux coûts du local d’injection lausannois; le consommateur pourra faire contrôler la qualité de sa drogue à l’entrée des boîtes de nuit et des festivals; etc.

2  L’idée est la suivante: «Puisqu’ils sont décidés à consommer, autant que ce soit hygiénique.» Mais en adoptant cette approche prioritairement sanitaire tout en maintenant le principe de la répression, l’Etat tient un discours brouillé et doublement contradictoire: «La drogue est néfaste et interdite, mais si vous outrepassez l’interdiction, on vous aidera gratuitement à en consommer de la bonne.» En d’autres termes, le quatrième pilier ne fonctionne qu’en affaiblissant les trois autres.

3  FAO No 75 du 17 septembre 2021.

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