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Morerod aux bottes de sept lieues

Yves Guignard
La Nation n° 2185 8 octobre 2021

Dans le village de Ropraz a vécu Jacques Chessex qui y est enterré. Mais on trouve aussi, pour ceux qui l’ignoraient encore, comme l’auteur de ces lignes, une fondation culturelle absolument pleine de charme. Elle a fêté ses trente ans juste avant le Covid, c’est dire qu’elle est jeune encore, avec tout d’une grande. La Fondation l’Estrée, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, montre jusqu’au 31 octobre le peintre Vaudois, natif d’Aigle, Edouard Morerod. Le lieu d’exposition est un vaste corps de ferme, peut-être une ancienne grange, pleine d’étages, d’escaliers et d’espace entre eux, c’est-à-dire de lumière. Le peintre natif d’Aigle y est montré par l’association de promotion qui s’est créée autour de son patrimoine – l’Association des Amis d’Edouard Morerod – et plus précisément sous le commissariat de son président Jacques Dominique Rouiller. Chose pas banale, notons que la plupart des tableaux montrés sont à vendre pour soutenir l’association. Nous y pénétrons avec certificat Covid mais ce contrôle permet d’enlever le masque à l’intérieur.

Morerod n’a pas tenu en place, espiègle et poétique, il a vécu sa vie en la consumant d’une manière éclatante puis s’est éteint à quarante ans.

Sa grande passion a été l’Espagne, l’Andalousie plus exactement, et ce sont ces tableaux qui nous accueillent, avec un petit fond sonore de guitare sèche qui n’est pas déplaisant. On apprécie un portraitiste de grand talent qui se vérifiera à différentes époques de sa vie – on trouve un autoportrait formidable de flegme dans une salle annexe. Morerod se distingue tout particulièrement dans l’art du pastel où l’on sent un quelque-chose-en-plus. Il a été proche de son compatriote Steinlen, ce qui a laissé des traces, surtout dans un grand portrait en pied dans une ruelle sombre, au premier étage de l’exposition.

Le premier étage est majoritairement sous le signe de l’Afrique du Nord, Tanger, des voiles lourds autour de visages de femmes. Comment conférer à ces voiles dans lesquels le vent s’engouffre une présence? Etouffant mais fascinant, on rencontre un vieux Juif hypnotique ainsi que plusieurs modèles noirs au fier port de tête; le Maroc de Morerod est multiculturel comme lui qui se rit des frontières.

Plus haut encore, on trouvera dans quelques œuvres sur papier des souvenir de Russie où il fut précepteur d’un prince, tradition bien vaudoise. Il a également peint la Suisse avec une belle touche dansante, impressionniste, tout en étant déconcertant avec ses mises en scène alpestres vertigineuses. Enfin, on découvre une série de plages à Saint-Jean-de-Luz qui fait penser un peu à Dufy lorsqu’il peignait Deauville.

En face, comme un soupir, sa dernière muse. Elle est très charismatique autant qu’elle est vaporeuse comme une femme des années 1920. C’est la sœur du poète Jules Supervielle, Violette de Lasala, le «plus extraordinaire visage» selon Morerod qui ne voulait pas montrer ces dessins «de l’intimité». Mais Jacques Dominique Rouiller en a décidé autrement et nous pouvons l’en remercier et l’en féliciter. Ils offrent un beau point d’orgue à ces nombreuses errances et témoignent aussi, comme le veut la citation de Giacometti, que «la grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. C’est plus grand que tous les voyages autour du monde.» Cette exposition fait en tout cas voyager à tous les titres et c’est très heureux.

Notes:

Fondation de l’Estrée, Ropraz, jusqu’au 31 octobre. Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h. www.estree.ch

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