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Occident express 91

David Laufer
La Nation n° 2185 8 octobre 2021

Voilà le début de l’automne à Belgrade. C’est en cette saison que je suis tombé amoureux de cette ville, il y a une vingtaine d’années. On peut facilement s’amouracher de Paris lorsque les magnolias fleurissent aux Tuileries au printemps. Avoir le cœur qui bat plus vite, en février, lorsque on découvre les immeubles sans goût ni grâce de Servette sous un manteau de neige fraîche. S’émouvoir en voyant le soleil se lever sur une journée de juillet à Istanbul et réveiller les rues tortueuses de Djihangir. Ainsi rien pour moi n’évoque Belgrade comme une journée à la jointure de septembre et octobre. L’air étouffant de l’été s’en est allé, enfin. On sort en chancelant après deux mois passés dans une étuve, deux mois à s’éponger le front dès le matin, à raser les immeubles pour rester dans l’ombre mesquine de leurs méchants petits balcons. Le déjeuner est servi en terrasse, en plein soleil, sans parasol et sans clim. Le soir venu, par les fenêtres ouvertes, les effluves de feuilletés au fromage, les discussions animées et le bulletin télévisé de 19h30 emplissent les rues, protégées encore par les frondaisons odorantes et fournies des tilleuls. Dans certains quartiers, de plus en plus loin du centre, il m’arrive aussi de retrouver l’odeur des poivrons que l’on grille pour préparer les conserves pour l’hiver, ce parfum si entêtant et si typique qu’il est devenu pour moi inséparable de l’image mentale que je me fais de cette ville. Belgrade, définitivement, n’est pas une belle ville. De bombardements en révolutions, de changements de régime en crises économiques, elle n’a jamais connu le privilège de la continuité qui a permis aux rues de Grenade, d’Utrecht ou de Bordeaux de se parer de palais, de places majestueuses et de douceur bourgeoise. C’est un monumental gribouillage architectural échoué à la confluence de la Save et du Danube, de l’Europe et de l’Asie, du Moyen Age et de la science-fiction, de la misère et de l’espoir, de la grandeur et du crime. Et c’est en ce début d’automne, lorsque les Belgradois sont revenus de leur campagne ou du Monténégro, lorsque les terrasses des restaurants éclosent comme les champs de narcisses en mai, que les tenues de femmes sont plus sages mais plus élégantes, c’est à ce moment précis que Belgrade devient, curieusement et pour quelques jours seulement, belle.

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